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mardi, 22 février 2011

Fabienne Keller : Rêveuse bourgeoisie...

576680838_2.jpgPar Coclès

La Droite strasbourgeoise

 

Fabienne Keller, ancienne maire de Strasbourg, et ci-devant sénateur UMP, entre avec fracas en campagne électorale en faisant un "rêve". Un rêve burlesque. Tout en couleur.

 

Une phase d'observation l'a d'abord menée des cités de Clichy-sous-Bois à celles de Roubaix et de Marseille à la rencontre des enfants de l'immigration, puis elle a consulté quelques "sociologues" assermentés.

 

Si le rêve est la réalisation d'un désir selon Freud, de tous ces pèlerinages est sortie une idée. Un manuel d'histoire franco-africain (cliquez ici) utilisé sur les deux rives de la Méditerranée. Une sorte de nouveau catéchisme "républicain", cosmopolite par ses auteurs, hybride et métissé dans ses intentions.

 

"Il est important, nous dit-elle, de mettre l'accent sur le travail de mémoire et la relation à la double culture (...) ils ne peuvent se référer à une culture qui n'est pas la leur, celle du pays de leurs parents (...) en même temps ils n'arrivent pas totalement à acquérir la culture du pays où ils sont nés, la France. Parce qu'on nie leur histoire personnelle et parce qu'on ne leur parle pas de leur passé...

 

Avouant elle même le dénuement culturel de ces générations déracinées elle n'en célèbre pas moins, comme tout le monde, la richesse de la double culture. Fable dérisoire. Pieux mensonge que les élites répètent en boucle, refusant de s'avouer ce que tout enseignant finit par comprendre à ses dépens : ces nouveaux collégiens, pour nombre d'entre eux, refusent d'apprendre sous des prétextes divers emportés qu'ils sont par la culture concurrente, celle de la télévision, du portable et de l'internet, faite d'immédiateté et d'éphémère et de passion pour la thune vite acquise.

 

Le "manuel d'histoire franco-africain qui aborderait l'époque des colonies, les héroïques tirailleurs, la guerre d'Algérie, la décolonisation, les vagues d'immigration" risque bien de n'être qu'un compendium de tout le saint-frusquin victimaire avec comme chapitre phare ainsi que le souligne la sénatrice Keller, le méchant esclavagiste (tous les peuples ont pratiqué l'esclavage à commencer par les Arabes exemptés de contrition), l'abomination du colonialisme (qui n'a pas colonisé ?), la force noire servant de chair à canon (le taux de mortalité des unités coloniales durant la guerre de 14-18 est très inférieur à celles de l'infanterie autochtone). En résumé un nouvel exercice de morigénation de l'indigène européen. Le communautarisme parle désormais la langue de la République. Et madame Keller, ankylosée de sentimentalisme à vocation bienfaisante risque fort d'être son complice. 

 

A-t-on, pour les intégrer, enseigné les enfants d'italiens par des cours spécifique sur le Risorgimento ? A-t-on amadoué les enfants d'espagnols en leur contant par le menu les grandeurs du Siècle d'Or ? Non, et pourtant leur assimilation n'a pas fait problème. Mais peut-être étaient-ils moins rétifs ?

 

Bref, comme le dit Robert Grossmann : "Leur apprendre qu'ils vivent un malaise parce qu'ils sont coupés du pays d'origine de leurs grands parents différerait à l'infini leur intégration à la France". Le thème du "malaise" est d'ailleurs une vache sacrée de la sociologie de l'immigration. Il convient d'y souscrire pour être autorisé à parler. En fait de malaise il y a tout bonnement un rejet de l'autorité, que de nombreuses associations sont rémunérées pour lui trouver de bonnes raisons. Hélas, la réalité est plus confondante et met à mal la vulgate.

 

Ainsi le Haut Comité à l'Intégration a remis le 28 janvier dernier son rapport au premier ministre. Qu'y lit-on ? Qu'il n'est pas rare que dès l'école primaire, des parties du programme soient tout simplement refusées. Alors que le programme d'histoire en CM1 prévoit expressément "les Gaulois, la romanisation de la Gaule et la christianisation du monde gallo-romain", au même titre que l'étude "des conflits et échanges en Méditerranée au Moyen Âge : les croisades, la découverte d'une autre civilisation, l'islam", des enseignants se voient systématiquement opposer un refus de parents musulmans à l'étude, par leurs enfants, de la christianisation. Les problèmes rencontrés par les professeurs au collège sont bien pires montrant que l'école républicaine, dernier rempart à la communautarisation de la société, ne parvient plus, dans de nombreuses cités, à jouer son rôle. Elle se heurte, disons les choses, à un refus qui prend la forme d'un "rejet de la culture et des valeurs de la République française". 

 

Quel sera le contenu du manuel prônée par madame Keller ?

 

Elle dit son intention de le créer avec la participation de l'ensemble des pays concernés. Dans ce cas, il y a fort à parier que l'anachronisme des jugements moraux y côtoiera le plus flatteur des portraits africains. On en fait jamais assez dans la flagornerie et la courbette. Les historiens des nouveaux États ont le nationalisme sourcilleux à la différence des européens qui admettent bien volontiers leurs torts et poussent loin leur abnégation. Notre relativisme flirte souvent, il faut bien le reconnaître, avec un ethno-masochisme maladif. Quant à la réconciliation attendue, que faut-il en attendre ?

 

Il faudra s'entendre, par exemple, avec les algériens qui répètent depuis l'indépendance qu'ils furent victimes d'un "génocide", alors que nos meilleurs historiens s'accordent sur un chiffre de décès quatre fois moins élevé. Faudra-il laisser dans l'ombre les 17 millions de noirs déportés par la traite arabe ? Faudra-t-il expliquer que la totalité d'entre eux subissait une castration qui en tuait trois sur quatre, raison pour laquelle il n'y a pas de noirs dans le monde arabo-musulman alors qu'en Amérique du nord, aux Antilles, en Amérique latine ils atteignent aujourd'hui plus de cent millions. L'histoire dans bon nombre de ces pays n'a pas abandonné son statut d'auxiliaire de la propagande d'État et le rabibochage espéré  risque de n'aboutir qu'à des querelles sans fin qui nous vaudront l'accusation de néo-colonialistes. 

 

Cette niaiserie citoyenne en forme de parodie multiculturelle a bien peu à voir avec le manuel franco-allemand qui, soit disant, l'inspire (cliquez ici). Car il est bâti, lui, sur une conception commune des règles de l'historiographie. 

 

Cet "accommodement raisonnable" sera bien sûr pris pour une faiblesse supplémentaire et encouragera les victimaires à de nouvelles surenchères. La CDU allemande dont madame Keller prétend parfois s'inspirer, a elle-même reconnu l'échec du multi-culti. Il en va de même aux Pays-Bas et dernièrement au Royaume Uni qui fut un phare en ce domaine. La France innoverait donc en s'accrochant à un multiculturalisme, qui a fait partout en Europe la preuve de son échec. 

 

Outre la stupidité ou la candeur, un tel fourvoiement peut s'expliquer par les chausse-trappes que tend la doxa à qui fait mine de penser en demeurant dans les clous. En proie aux réquisitions de l'idéologie dominante l'humanisme de Fabienne Keller ignore la différence entre "civilisation de l'universel" et "civilisation universelle". Si la première a été conceptualisée par l'Europe à travers notamment la notion d'objectivité qui l'a conduite à décentrer le regard qu'elle portait sur elle même et sur les autres, elle débouche sur une aporie majeure : l'Europe est la seule à avoir voulu penser l'universel. Mais l'universel quand il n'est pas le simple masque d'un ethnocentrisme inconscient, est aussi ce qui la menace de ne plus savoir ce qu'elle est, de n'avoir plus d'identité propre. De cette impasse il est possible de s'extraire en soulignant que "civilisation de l'universel" et "civilisation universelle" ne sont pas synonymes. Selon l'adage souvent cité, l'universel, dans le meilleur sens du terme, c'est "le local moins les murs".

 

Que les innombrables idiots utiles mélangent ces deux notions, rien que de plus normal. C'est dans l'ère du temps qui veut que l'enseignement de l'ignorance débouche fatalement sur la production en série de nouveaux ilotes. C'est ce qui fait que l'Europe se trouve assignée à l'ignorance de soi et à la repentance pour ce dont elle est encore autorisée à se souvenir, tandis que la religion des droits de l'homme universalise l'idée du Même.

 

Un humanisme sans horizon s'est ainsi posé en juge de l'histoire, posant l'indistinction en idéal rédempteur, et faisant à tout moment le procès de l'appartenance qui singularise. Comme le dit Finkielkraut, "cela signifiait que, pour ne plus exclure qui que ce soit, l'Europe devait se défaire d'elle même, se désoriginer, ne garder de son héritage que l'universalité des droits de l'homme (...) Nous ne sommes rien, c'est la condition préalable pour que nous ne soyons fermés à rien ni à personne" (Débat avec Paul Thibaud dans le Monde des 11-12 novembre 2007).

 

"Vacuité substantielle, tolérance radicale" comme dit le sociologue Ulrich Beck, alors que c'est au contraire le sentiment du vide qui rend allergique à tout.. La France et l'Europe ne peuvent en effet être accueillantes aux autres que pour autant qu'elles sont consciente de leurs cultures et de leur modèle civilisationnel singulier. Comme l'écrit Slavoj Zizek "si la défense de l'héritage européen se limite à la défense de la tradition démocratique européenne, la bataille est perdue d'avance" (Slavoj Zizek, "Que veut l'Europe ? Réflexion sur une nécessaire réappropriation", Climats, 2005). 

 

Humanisme républicain, humanisme rhénan : même néant.

 

Dans l'émission de Hubert Huertas ("En toute franchise", le 13 janvier sur France-Culture) madame Keller s'indigne, au nom de son "humanisme", de la quote-part demandée aux clandestins pour éponger le déficit abyssal de l'AME (que financent les contribuables français dont on réduit les remboursements), elle s'indigne pareillement du discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble. On se souvient que sous le coup d'une émotion feinte, mais dont il attendait des retombées dans les sondages, le président avait annoncé sa décision d'expulser quelques centaines de Roms roumains et de déchoir de leur nationalité française une poignée de criminels d'origine étrangère, décisions postiches que l'on eut bien soin d'annuler depuis.

 

Porter en bandoulière son "humanisme républicain" selon l'habituelle formule langue de bois, c'est bien, mais qu'est ce que ça veut dire ? Cette formule cacochyme ne nous dit pas de quel humanisme il s'agit, pour quelle République ? Le vague rhétorique ressemble ici à un écran de fumée.

 

Par exemple, du temps où elle exerçait de hautes responsabilités dans la banque (années 90), on ne se souvient pas que madame Keller se soit indignée de la dérégulation massive et de la prise de pouvoir par l'industrie financière qui devait précipiter l'Occident dans le mur et réduire des millions d'hommes et de femmes à la précarité et au chômage. Là pourtant, son "humanisme rhénan" aurait trouvé son utlité.

 

Ses indignations, comme celles de Stéphane Hessel, dispensent ceux qui les formulent de s'interroger sur leur position grisante d'infaillibilité morale, et donc sur le sens de la démocratie dont la condition se trouve dans la reconnaissance par l'individu de sa faillibilité. Or madame Keller qui a laissé le souvenir de son autoritarisme et de son manque de concertation lorsqu'elle était à la tête de la ville ne semble pas prête à renoncer à ses travers. C'est dommage quand on prétend se relancer dans la course à la mairie.

 

NDLR SN : Lire aussi sur ce sujet : cliquez là

12:41 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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