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mercredi, 01 mars 2023

« Ce que j’ai reçu de la France »

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Un texte de Bruno Gollnisch publié sur le site de Renaissance catholique cliquez ici

Lorsque Jean-Pierre Maugendre m’a proposé de m’exprimer devant vous, honneur qui m’avait déjà été donné dans le passé, et auquel je suis très sensible, mais honneur redoutable, je suis resté quelques instants perplexe devant le thème qu’il avait choisi : décrire ce que j’avais reçu de la France.

Mettez-vous à ma place : Ce que moi j’ai reçu de la France ? Mais tant de choses ! Et par quel bout commencer ? Et me pardonnera-t-on le narcissisme que m’impose le sujet, consistant à parler de mon cas personnel, alors que chacun d’entre nous a son parcours qui lui est propre, et n’est pas moins riche ?

Héritier d’une incomparable civilisation

Par le seul fait de ma naissance, la France m’a fait héritier du legs d’une incomparable civilisation, fleuron de la civilisation occidentale. Ayant consacré une bonne partie de ma vie à l’étude et à l’enseignement des langues et  civilisations de l’Extrême-Orient, je n’en suis que plus à l’aise pour dire qu’elles comportent certes des œuvres admirables, autant de la matière que de l’esprit, réflexions philosophiques et spirituelles, art dans tous les domaines, porcelaines, architecture, temples, jardins, etc. mais que la nôtre les surpasse encore tant par son extraordinaire diversité selon les époques et les régions, que par sa profusion au profit du plus grand nombre et dans tous les domaines : Lettres, philosophie, sciences, médecine, droit, architecture, beaux-arts, musique, jardins, etc… Comme en témoigne le moindre de nos villages, dans ce qui est aujourd’hui en train de devenir le désert français, avec son église, ses calvaires, son château ou son manoir, son lavoir ou ses halles, ses fermes, ses demeures cossues ou modestes, mais toujours agencées, selon un miracle d’harmonie propre à chacune de nos régions.

J’y suis partout chez moi, puisque je suis français.

« France, mère des arts, des armes et des lois » disait déjà Joachim du Bellay, et de poursuivre : « tu m’as longtemps nourri du lait de ta mamelle ».

Une langue merveilleuse

Mais c’est aussi une langue admirable, par sa précision, sa concision, sa clarté, son héritage de littérature, de théâtre, de réflexion philosophique de toute nature, de poésie…  et surtout, ce qui est paradoxalement plus perceptible à l’oreille pour des étrangers qui ne la parlent pas que pour nous-mêmes, son extraordinaire mélodie.

Je ne partage pas, loin s’en faut, toutes les opinions de l’économiste et écrivain François Rachline, ni celles de l’Institut Montaigne devant lequel il s’exprimait lors d’un intéressant colloque sur le thème « Qu’est-ce qu’être français ? ». Mais comment ne pas être d’accord avec lui lorsqu’il s’exclame : «  Quel autre pays a pu inciter tant d’écrivains à adopter sa langue pour s’exprimer, du Cubain José Maria de Heredia au Tchèque Milan Kundera en passant par l’Américain Julien Green, l’Italien Gabriel d’Annunzio, l’Autrichien Rainer Maria Rilke, l’Irlandais Samuel Beckett, le Roumain Eugène Ionesco, l’Albanais Ismaïl Kadaré ou l’Égyptien Edmond Jabès ? »

Oui, c’est un héritage prodigieux, même s’il n’est pas très facile à appréhender, comme bien des générations qui ont transpiré sur les exercices de grammaire, les conjugaisons, les dictées, les rédactions, les dissertations, peuvent en témoigner. « Ce qui n’est pas clair n’est pas français », écrivit Rivarol… Je pense à ma classe de terminale au lycée Janson de Sailly, où se trouvait aussi Olivier Duhamel, déjà d’une gauche arrogante et bourgeoise. Notre professeur de philosophie M. Boulay prévenait que dans une copie l’expression « en général » qui ne serait pas suivie un peu plus loin de : « mais en particulier » ne serait dès lors qu’un alibi de l’approximation de la pensée, et serait frappée de 5 points de moins. Le sujet de notre première dissertation était : « Regret, remords, repentir » ; et débrouillez-vous avec ça. On apprenait à réfléchir au sens des mots ! Je ne sais lequel de ces trois termes occupe aujourd’hui la conscience de Duhamel…

Le sujet de la deuxième dissertation consistait à commenter le premier des aphorismes d’Hippocrate « ars longa, vita brevis », : « L’art est long ; la vie est brève ».  Je n’ai connu que plus tard le texte complet :

Ars longa,
Vita brevis
Occasio praeceps
Experimentum periculosum
Judicium difficile

Approximativement : L’art est long ; la vie est brève, l’occasion fugitive, l’expérimentation dangereuse, le jugement difficile. En somme : un résumé de la condition humaine.

Oui, la vie humaine est brève, et l’art, c’est-à-dire, comme l’exprime mieux le mot grec tekhné, non seulement le legs des artistes, mais tous les savoir-faire, tous les acquis de la science et des techniques, en un mot : la civilisation, sont le fruit, le prolongement continu, de plusieurs vies de travail. En France, c’est le fruit du labeur de près de deux milliards d’êtres humains qui, depuis l’aube des temps historiques, y ont vécu, travaillé, aimé, souffert, et parfois sont morts pour elle. « Les morts gouvernent les vivants » écrivait Auguste Comte. Et cet héritage nous est donné d’emblée. Voilà pourquoi le patriotisme bien compris est une forme de la piété filiale, comme se plaisait à le rappeler le regretté Jean Madiran.

L’esprit d’un peuple

Ce que j’ai reçu de la France aussi, c’est l’esprit véritable de son peuple. Je pense en particulier au petit peuple de Paris de mon enfance, qui a presque disparu, travailleur, enjoué souvent, râleur parfois, gouailleur, impertinent à l’égard des puissants, et fidèle en amitié. Voici ce que disait il y a 450 ans Montaigne du peuple de France : « C’est un bon peuple, guerrier et généreux, capable pourtant d’obéissance et discipline, et de servir à quelque bon usage, s’il y est bien guidé. » Bien guidé, c’est tout le problème…

De la France, en principe fille aînée de l’Église – mais qui donne beaucoup de soucis à sa mère – j’ai aussi reçu le don fragile et précieux de la foi, héritage de la cohorte de saints, de martyrs, de religieux et de religieuses, de missionnaires de toutes vocations ; et quand j’y songe, je repense surtout à mes aumôniers de lycée ou de scoutisme, et dans ma petite enfance, à mes deux bonnes grands-mères qui en furent les canaux, non exclusifs, mais privilégiés.

Plus particulièrement la France, dans mon cas personnel, m’a offert un enseignement de grande qualité, qui ne fut perturbé au niveau supérieur que par le désordre, produit par la violence haineuse des révolutionnaires gauchistes (ma première année de faculté, c’était à Nanterre en 1967-68 !). Études de sciences politiques, de langues étrangères, et de droit ; de ce droit qui est (ou plutôt qui était) en France admirable de logique et de clarté. Dans quel autre pays, muni du seul certificat national de fin d’enseignement secondaire pouvait-on s’orienter librement vers la formation de son choix presque sans autre formalité ? Et sans avoir à débourser de sommes considérables ?

Lorsque fut venu pour moi le temps de la servir sous ses drapeaux, la France a fait confiance au tout jeune homme que j’étais en en faisant un officier de marine qui eut la chance de connaître en un court laps de temps embarquements divers et missions passionnantes.

A l’issue, la France m’a offert un séjour d’études au Japon de 18 mois comme boursier du ministère des affaires étrangères. Elle m’a ensuite incorporé dans son corps enseignant, et confié la direction d’une faculté où l’on enseignait 25 langues et civilisations étrangères à plus de 2000 étudiants…

Elle a aussi fait de moi un avocat et plus tard un élu, même si ce fut au prix d’âpres combats contre la dictature de plus en plus prégnante, morale, physique, professionnelle, médiatique, de la pensée unique.

Autre chose : lorsque moi-même, puis ma pauvre épouse, fûmes atteints dans notre santé, la France nous a soignés presque gratuitement. Je le mentionne, car il n’y a pas beaucoup de pays où c’est le cas. Moi qui dans ma jeunesse, fort de ma bonne santé, pestais contre les abus de la sécurité sociale, lorsque parvenu à l’âge mûr et fatigué par une vie trop trépidante, je dus subir un quadruple pontage coronarien, suivi d’une hospitalisation de trois semaines, et d’une longue rééducation, je me souviens de ma stupéfaction, quand à la sortie de l’hôpital on me présenta la facture, assez considérable, tout en me précisant que la seule chose que j’avais à payer… c’était la location de la télévision.

Oh, bien sûr, rien de tout cela n’allait forcément de soi ; et ce que j’ai reçu comportait parfois une part d’épreuves, de persécutions, et parfois même de fiel et d’amertume. Et je me suis parfois identifié à du Bellay que j’ai cité à l’instant lorsqu’il dit encore à la France qu’il interpelle :

Je remplis de ton nom les antres et les bois (…)
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle !
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.

France que mon cœur aimer doit

Car je ne me résous pas à faire miennes les fureurs destructrices de l’esprit révolutionnaire, non plus que les affreux symptômes de décadence maquillés en individualisme libéral et en avancées sociétales, comme ils disent…

Mais je ne demande pas le bénéfice d’inventaire. J’accepte tout, je ferai le tri plus tard. Je prends tout de cette France qui sut se faire aimer par des étrangers comme  ma pauvre Setsuko, qui connaissait les mérites de chacun de nos rois, ou comme Savorgnan de Brazza, venu d’Italie, enseigne de vaisseau à titre étranger, qui explore l’Afrique équatoriale et l’acquiert à la France, ou le lieutenant d’origine polonaise Guillaume Kostrowitky dit Guillaume Apollinaire, engagé volontaire, mort en 1918 des suites de ses blessures, dont la poésie m’évoque le souvenir de mon grand-père maternel, jeune héros de la Grande Guerre…

Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour, Ô Lou, ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleurs

Car la France m’a donné de vives illustrations de l’Honneur, au singulier, toujours préférable au pluriel. Elle m’a appris que même les échecs pouvaient être glorieux : Jeanne brûlée vive à Rouen, Jean Le Bon à Poitiers, Camerone, Bazeilles, les Cadets de Saumur, Dien Bien Phu…

Et je fais miens en conclusion les vers de Charles d’Orléans, prisonnier 25 ans des Anglais après le désastre d’Azincourt, regardant au loin depuis Douvres les côtes de notre pays :

Si commençai de cœur à soupirer,
Combien certes que grand bien me faisoit
De voir France que mon cœur aimer doit.

France que mon cœur aimer doit … 

12:19 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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