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vendredi, 27 juin 2025

Grand dérangement au Moyen-Orient

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La chronique flibustière de Georges Feltin-Tracol

Les dirigeants du Hamas se doutaient-ils qu’en lançant leur offensive–éclair le 7 octobre 2023, ils changeraient le visage du Moyen-Orient ? Ne faut-il pas maintenant s’interroger sur l’existence d’un enchâssement machiavélique de plans destinés à briser l’« Axe de la Résistance » contre Israël ? Les guerres de Benyamin Netanyahou lui permettront-elles de remodeler à sa guise toute une région et d’arrêter l’apparition d’un monde multipolaire aux valeurs pluriverselles ?

À l’origine, les services secrets israéliens ont encouragé l’essor du Hamas opposé à l’OLP de Yasser Arafat. Une fois encore, le golem s’est retourné contre ses maîtres. Malgré le départ des colons israéliens et le retrait des troupes de Tsahal en 2005 sur l’ordre du Premier ministre israélien d’alors Ariel Sharon, Tel-Aviv n’a jamais cessé de surveiller dans le détail la Bande de Gaza dont la superficie correspond à peu près à trois fois Paris (bois de Boulogne et de Vincennes inclus). Par ailleurs en pointe dans le contrôle numérique de masse, Israël a proscrit l’argent liquide et sait parfaitement identifier une population gazaouie désormais martyre.

En agressant l’Iran sans prendre la peine de lui déclarer la guerre tel un autre 1er septembre 1939, Israël ouvre un cinquième front à la suite de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est occupés, du Liban et de la Syrie. Ces différents conflits quasi-simultanés occultent les procès en corruption qui frappent Netanyahou et détournent l’attention de l’opinion publique du contentieux féroce entre la Cour suprême et l’exécutif. Cette nouvelle guerre préventive d’agression soude pour le moment les six partis de la coalition gouvernementale.

Le gouvernement Netanyahou invente un danger nucléaire iranien imminent alors que le premier Guide suprême de la Révolution, Rouhollah Khomeiny, avait émis une fatwa condamnant cette arme redoutable. Ce fait importe peu pour Tel-Aviv qui rêve de briser la « Pieuvre » tant ses tentacules que sa tête. Dans Le Figaro Magazine des 23 et 24 mai 2025, Alexandre Devecchio interroge Stéphane Simon, co-auteur avec Pierre Rehov du 7 Octobre. La Riposte (Fayard, 2025). Stéphane Simon déclare qu’« aujourd’hui, Israël prépare la dernière manche qui vise la fin du régime de Téhéran ». Pourquoi ? Parce que l’instant lui est propice.

La Syrie néo-baasiste de Bachar al-Assad a disparu en décembre 2024 au profit de forces islamistes subventionnées par la Turquie et le Qatar. L’état-major israélien a aussi tiré tous les enseignements de la guerre de 2006 contre le Hezbollah. Quelques exemples rapportent la haute fiabilité des réseaux de renseignement qui associent données satellitaires - numériques et collectes précises d’informations sur le terrain, d’où l’assassinat de Hassan Nasrallah, secrétaire général charismatique du Hezbollah, le 27 septembre 2024. Évoquons aussi le piège des talkies walkies et autres bipeurs qui a tué, blessé ou handicapé plusieurs milliers de cadres du Hezbollah. Produits en Israël, les trois grammes d’explosif implantés, les bipeurs sont cédés à une société hongroise qui les vend ensuite au Hezbollah. Israël avait donc bien préparé cette opération depuis plusieurs trimestres, voire années… Ainsi peut-on se demander si, à l’instar de Franklin Delano Roosevelt qui sût la veille du 7 décembre 1941 l’attaque-surprise japonaise sur Pearl Harbor, Benyamin Netanyahou était au courant de l’action sanglante du 7 octobre sans penser à son ampleur, ni à son impact tragique. Dès son premier mandat de Premier ministre (1996–1999), il considère l’Iran comme son ennemi principal. Il déteste l’Iran qui signifie « royaume des Aryens ». Cette appellation servirait-elle de prétexte à une susceptibilité mémorielle excessive ?

L’agression contre l’Iran n’est pas une foucade du régime suprémaciste de Tel-Aviv, mais une action de guerre mûrement réfléchie. Appliquant les méthodes opérationnelles de l’OTAN, l’aviation israélienne se serait rendue maîtresse du ciel iranien en dépit des 1 500 – 2 000 km de distance entre les deux États.

On reste toutefois pantois devant l’impréparation de l’Iran, pourtant puissance régionale de plus de 82 millions d’habitants, face à une guerre préventive aérienne : pas d’abris de défense pour les civils, sécurité publique déficiente, faiblesse de la protection autour des responsables militaires iraniens. À ces manques s’ajoute une absence flagrante de réactions de la part des « tentacules », à savoir d’alliés affaiblis (Hezbollah, Hamas), lointains (les « partisans d’Allah » houthistes du Yémen) ou dubitatifs (les milices populaires irakiennes). L’assassinat de hauts responsables militaires et scientifiques, la destruction de centres stratégiques militaires et nucléaires, le bombardement des locaux de la télévision officielle indiquent la présence en Iran d’agents secrets, de forces spéciales et de collaborateurs locaux, et ce depuis de nombreux mois, même de nombreuses années.

À la lumière des récents événements, deux faits confirment la forte implication d’Israël dans le désordre intérieur iranien. L’un se passe le 31 juillet 2024. Ce jour-là, le chef du Hamas, « Ismaël Haniyeh, rapporte encore Stéphane Simon, meurt dans sa chambre piégée d’une bombe au cœur d’une résidence sécurisée du palais présidentiel » iranien. Toujours pour Stéphane Simon, c’est « la démonstration de l’infiltration du Mossad au cœur du régime iranien ». Sous l’empire Pahlavi, le Shah d’Iran était un allié précieux pour Israël au même titre d’ailleurs que la Turquie laïque et les Kurdes d’Irak et de Syrie. Cette proximité stratégique n’a pas empêché les États-Unis de fomenter en partie la révolution islamique afin de surseoir au développement nucléaire de l’Iran.

Le second concerne la révolution de couleur « Femme – Vie – Liberté », processus incontestable de déstabilisation socio-politique qui s’apparente à une intense action de guerre psychologique. Les manifestants et les manifestantes hostiles aux institutions de la République islamique agissent en idiots utiles du suprémacisme israélien anti-iranien. À côté des actions clandestines montées par les services israéliens sur le sol iranien, « Femme–Vie–Liberté » signale la réalité d’une cinquième colonne qui a pour objectif le renversement de la république islamique. Par qui la remplacer ? Israël ne se tournera pas vers Maryam Radjavi, présidente des Moudjahiddines du peuple qui ont longtemps séjourné dans l’Irak baasiste de Saddam Hussein. Quant à recourir au prétendant impérial en exil Reza Pahlavi, ce ne serait guère judicieux, car il deviendrait aussitôt un nouveau repère d’unité nationale pour tous les Iraniens.

Il est possible que le gouvernement israélien mise sur un éclatement, effectif ou latent, de l’Iran en jouant sur des minorités ethniques. Au Sud-Est, les indépendantistes baloutches pourraient ériger un État qui attirerait ensuite vers lui le Baloutchistan pakistanais. Au Nord-Ouest, les Kurdes édifieraient un territoire autonome à l’image du Kurdistan irakien et, peut-être, du Rojava syrien. Au Sud-Ouest, les arabophones (plus d’un tiers de la population locale) du Khouzistan (ou Arabistan), assez rétifs à la tutelle de Téhéran, s’en sépareraient pour mieux se rapprocher de l’Irak. Mais la plus grande menace provient du Nord, des portes du Caucase.

Les Occidentaux oublient que l’Arménie, encerclée à l’Est et à l’Ouest par la Turquie et l’Azerbaïdjan, y compris par son exclave du Nakhitchevan, entretient d’assez mauvaises relations avec son voisin géorgien. Le seul État qui persiste à aider Erevan s’appelle l’Iran. Pendant la guerre de reconquête de l’Artsakh, l’Azerbaïdjan a bénéficié de l’aide militaire israélienne. La fragilisation poussée de l’Iran inciterait l’Azerbaïdjan à s’emparer des régions iraniennes de langue azérie au nom des vieilles revendications rattachistes, puis d’effacer définitivement l’Arménie des cartes en se partageant avec la Turquie son territoire. Un Grand Azerbaïdjan pèserait alors de tout son poids sur l’avenir non seulement de l’Iran, mais aussi de l’Asie centrale avec le risque accru d’irriter une Russie attentive à son étranger proche et d’encourager les forces islamistes les plus extrémistes à renverser les gouvernements du Kazakhstan, du Tadjikistan, de l’Ouzbékistan, du Turkménistan et du Kirghizistan à partir du foyer inflammable de la vaste vallée de la Ferghana.

L’effondrement de l’Iran assurerait à l’actuel gouvernement israélien la satisfaction de ses visées messianiques dans la reconfiguration géopolitique du Moyen-Orient. La fin de l’« Axe de la Résistance » lui faciliterait la déportation massive des Palestiniens de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est vers le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Égypte aux frontières redessinées, mais aussi vers l’Europe. Le régime de Tel-Aviv ferait deux pierres d’un coup : résoudre la question démographique palestinienne lancinante et semer les ferments de division multiculturalistes chez l’héritière d’Édom, la civilisation européenne d’essence boréenne, qu’il exècre. L’Iran ou le dernier avant-poste de l’Europe boréale ? L’histoire est plus que jamais imprévisible et surprenante.

Salutations flibustières ! 

• « Vigie d’un monde en ébullition », n°162, mise en ligne le 24 juin 2025 sur Radio Méridien zéro.

00:36 Publié dans Georges Feltin-Tracol | Lien permanent | Commentaires (0) | |  Facebook | |

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