jeudi, 24 novembre 2022
Les Franco-ricains
La chronique flibustiière de Georges Feltin-Tracol
Il y a trente ans, au printemps 1992, s’ouvrait le parc d’attraction parrainé par la souris Mickey et l’avare Picsou : Euro Disney Resort. Pour la circonstance fut dévastée la plaine fertile de la Brie dans l’Est francilien avec un incroyable étalement urbain. La dénomination du complexe industriel de divertissement a varié au gré des années en fonction des stratégies publicitaires. Il s’appelle depuis 2009 Disneyland–Paris. Chaque année, des millions de touristes venus d’Europe, d’autres continents et, hélas !, de France le visitent.
Décidé par le socialiste atlantiste François Mitterrand et accepté par le très falot Jacques Chirac, ce projet fut porté par Charles de Chambrun. Proche des milieux étatsuniens, cet ancien secrétaire d’État du gouvernement de Georges Pompidou sous Charles De Gaulle militait au Front national qui, au moment de la signature de l’accord en 1985, s’affichait en nouvelle force reaganienne française. Le tournant anti-américain du FN ne viendra qu’avec la crise du Golfe à l’été 1990. Charles de Chambrun fut par ailleurs l’éphémère maire FN de Saint-Gilles-du-Gard entre 1989 et 1992. Une partie de sa propre majorité contesta sa gestion, ce qui entraîna sa chute.
L’inauguration de cette défiguration paysagère, mémorielle et économique se fait l’année du référendum perdu sur le traité de Maastricht, matrice du cosmopolitisme euratlantique. Contre cette verrue effroyable, seuls protestèrent une minorité de l’extrême gauche, le mouvement tiercériste de Jean-Gilles Malliarakis, Troisième Voie, et le GRECE. Disneyland–Paris détourne les mythes européens, pervertit nos légendes et viole l’imaginaire des générations. L’enlèvement culturel s’aggrave aujourd’hui avec la forte fréquentation autour des thématiques de la Guerre des Étoiles de George Lucas et de l’univers cinématographique Marvel. Quand on parle à un adolescent albo-européen du dieu Thor, il le présente sous les traits de l’acteur australien Chris Hemsworth et le voit aux côtés des Avengers…
Disneyland–Paris parachève le processus d’américanisation de la société française. Le Français moyen rêve d’Amérique. Son désir ne tend pas vers le Mexique, le Pérou, la Bolivie, l’Argentine ou le Costa Rica; il se focalise sur les États-Unis à travers le prisme new-yorkais, californien, texan et floridien sans oublier Memphis, Nashville et Las Vegas. En revanche, il ne se projette jamais dans les Appalaches ou dans les « Grandes Plaines ». Cette affliction civilisationnelle frappe tous les milieux et toutes les classes d’âge.
Le système médiatique d’occupation mentale imite tant par la forme que sur le fond ses collègues d’outre-Atlantique. La politique hexagonale reprend à son compte un vocabulaire directement venu de là-bas : les élections primaires, l’aspiration au bipartisme institutionnel, la tentation d’un régime présidentiel loufoque sous nos latitudes. En 2015, de retour à la tête de son parti, Nicolas Sarközy changea le nom de l’UMP (Union pour un mouvement populaire) qui devient Les Républicains. À la fin du mandat de François « Flamby » Hollande, Manuel Valls envisageait de modifier l’appellation du Parti socialiste en parti démocrate. Par son coup d’éclat électoral, Emmanuel Macron a balayé en 2017 ces tactiques politiciennes en attirant vers lui le centre-gauche et le centre-droit.
Le chanteur Johnny Hallyday a joué un immense rôle dans l’américanisation de la France. Vivant la moitié de l’année à Los Angeles, il a transmis à son public une perception fallacieuse de la réalité étatsunienne. Le cas de Jean-Philippe Smet est édifiant d’autant que ses admirateurs appartiennent à la « France périphérique ». Combien parmi ceux qui pleurèrent l’idole de leur jeunesse en 2017 participèrent-ils ensuite à l’occupation des ronds-points dans le cadre de la révolte tranquille des « Gilets jaunes » ? Ne furent-ils pas des « Gilets Johnny » ?
Enfants et adolescents portent des vêtements ou des cartables aux couleurs des États-Unis d’Amérique ou du Royaume Uni de Grande-Bretagne. Leurs parents décorent leurs habitations et leurs véhicules selon les clichés propagés par les séries télé anglo-saxonnes. Il ne viendrait à aucun Français d’arborer sur lui et chez lui les couleurs de l’Inde, de l’Iran, de la Russie, de la Chine ou de la Hongrie !
La « France périphérique » connaît enfin un puissant engouement pour la musique country. Malgré des origines européennes principalement celtiques, ce style musical s’est épanoui en Amérique du Nord. On recensait néanmoins en 2019 plus d’une cinquantaine de festivals dans l’Hexagone dont à Sainte-Agrève en Ardèche et à Craponne-sur-Arzon en Haute-Loire ! La fermeture des bistrots en zone rurale a déporté le lieu de sociabilité vers le club local de musique made in USA. Il existe ainsi une réelle symétrie comportementale entre la mode country en vogue chez les « petits Blancs » et le rap (ou, plus généralement, l’« inculture » hip hop) qui est apparu dans les banlieues de l’immigration et qui infuse maintenant dans les centres métropolitains où prolifèrent les « Bo-bo ».
L’acculturation américaine intergénérationnelle favorise des mutations socio-politiques inouïes. Les déracinés des banlieues mondialisées se lancent dans un « islamisme de synthèse » fort loin des principes traditionnels. Les gauchistes adoptent les canons du wokisme. Le centrisme se soumet au politiquement correct, cette réminiscence du puritanisme digne de Salem. Quant au courant identitaire, non exempt d’américanotropisme, il peut parfois se complaire dans le suprémacisme blanc qui se montre sur le terrain en auxiliaire zélé d’un contre-mondialisme fomenté par l’État profond yankee.
En huit décennies, le « cancer américain », pour reprendre le titre du célèbre essai d’Arnaud Dandieu et de Robert Aron en 1931, a métastasé la France et l’Europe. L’Hexagone tricolore a viré en territoire franco-ricain. Marianne se grime en pin up décatie et peu attrayante. Presque tout un chacun veut contribuer à l’American Way of Life, cette pathétique illusion sociétale cauchemardesque qui rend l’américanologie, cette science lancée en 1991 par le philosophe conservateur traditionaliste étatsunien d’origine hongroise Thomas Molnar, plus que jamais nécessaire. Nos compatriotes ont l’esprit tourné vers l’Ouest. Pas étonnant dès lors que notre société ressemble de plus en plus à un asile d’aliénés...
Salutations flibustières !
« Vigie d’un monde en ébullition », n°52, mise en ligne le 22 novembre 2022 sur Radio Méridien Zéro.
23:25 Publié dans Georges Feltin-Tracol | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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