dimanche, 13 octobre 2024
Promenade littéraire du dimanche...
Louis-Ferdinand Céline en littérature marine ?
René Moniot Beaumont, littérateur de la mer
J'ai un penchant certain pour les bouquinistes, les librairies et les explorations sur la Toile à la recherche de curiosités littéraires et bibliophiliques le plus souvent maritimes. Dernièrement, mon regard fut attiré par le titre d’un ouvrage « La brinquebale avec Céline »* d’Henri Mahé. D’abord c’est la photographie prise par l’auteur en 1936 à Saint-Malo. Le docteur Louis-Ferdinand Destouches, sur un thonier d’époque, me surprit. Je n’avais jamais entendu discuter d’un « Céline sur bord de mer ». Une véritable découverte dans mon étude de l’histoire littéraire de l’océan.
D’abord le titre, ce mot brinquebale, qui évoque principalement le mouvement, l’agitation, le tangage. Le vice-amiral Willaumez en donne la définition dans son célèbre Dictionnaire de marine : Levier qui sert à faire mouvoir le piston de la pompe… Jules Verne écrit dans son roman Les enfants du capitaine Grant : « C’était un guindeau muni de bringuebales, comme les pompes à incendie. »
Ce livre constitue le recueil de cent lettres inédites écrites par l’écrivain « de quelques lignes ou de dix pages, mots d’écrits, bouts de billets, cartes postales… La plupart font allusion à des événements que nous pourrions croire insignifiants, sans y prendre garde, mais considérables à l’échelle des deux amis », tout l’art épistolaire ! Henri Mahé monologue entre les lignes, à haute voix. Je compris alors le sens du mot brinquebale qui permet de passer d’un correspondant à l’autre en tenant compte du décalage temporel.
Inutile de discourir sur Louis-Ferdinand Céline. Des femmes et des hommes de lettres, historiens ou autres, ont largement critiqué cet auteur pour ses positions politiques et là n’est pas mon sujet. Le seul point qui les rassemble est cette reconnaissance comme l’un des plus grands novateurs de la littérature française du XXe siècle.
Louis Mahé est connu dans le monde artistique. Il devint le camarade du futur Céline, vers l’âge de vingt-deux ans. Comme Henri de Toulouse-Lautrec, Louis-Ferdinand demeure, lui aussi, le peintre des maisons closes, des cirques, des femmes, etc. Il vit sur une péniche sur les bords de Seine, qui devient un peu le lieu de rendez-vous d’une foule interlope de la vie parisienne. Nous pouvons y rencontrer des étudiants et des artistes de cinéma en passant par les voyous, les maquereaux, les chansonniers. Céline le décrit dans Voyage au bout de la nuit « Un homme jeune que c’était le patron, un fantaisiste. Il aimait les bateaux qu’il nous a expliqués encore… (…) patron de la péniche, je l’ai examiné de plus près, il devait avoir la trentaine, avec de beaux cheveux bruns poétiques (…) C’était un artiste le patron, beau sexe, beaux cheveux, belles rentes, tout ce qu’il faut pour être heureux : de l’accordéon par-là-dessus, des amis, des rêveurs sur le bateau… » (Pour plus d’informations sur ce curieux personnage, je vous conseille de lire le site : Le petit Célinien : Henri Mahé, Louis-Ferdinand Céline : une amitié par Éric Mazet – 24/04/2011).
La brinquebale avec Céline apparaît en fait comme la biographie du « monologuiste ». Même si après la dernière guerre, le docteur est le vaincu, Henri Mahé en parlera toujours comme de « son ami Céline », sans se soucier des idées de son interlocuteur.
Céline prend rendez-vous avec le peintre accompagné d’un « trois-mâts » ! Gast ! Un fantastique clipper sûrement ! Écoutez !
« Je viendrai, avec Margaret Severn, te voir jeudi à 2h12 - 3 h à la péniche. Elle est enchantée et ne demande pas mieux que de poser, mais vous êtes tous les deux de grands artistes, et il s’agit que vous vous entendiez sur les heures. Tu vas voir ce trois-mâts, mon ami ! Le vrai de vrai ! Elle parle à peine le français, mais elle est infiniment sensible, on lui parle par brises et zéphyrs, mais tu verras ce derrière et ces cuisses, mon ami. Il y a là de quoi juter pendant vingt ans... » du pur genre célinien.
Des années plus tard, Henri Mahé retrouve cette missive dans ses archives épistolières et nous donne une description de la gent féminine telle qu’il l’avait imaginée avec Céline :
« Un trois-mâts ! Et souligné encore … !
Nous classions la beauté féminine en jargon maritime… Ainsi une fillette prometteuse était un « petit cotre » et dès que nous en apercevions un dans la rue nous filions cap dessus ; dût-il naviguer au plus près d’une grosse « belle baille », la maman, nous sautions à l’abordage !... Les mères pavoisent toujours quand on flatte leurs « annexes » et si vous faites état de vos relations théâtre-ciné, vous avez vite droit au thé des familles à la paluche baladeuse…
14, 15 ans ? C’étaient nos « goélettes » ! Là, il fallait serrer le vent ! Annoncer le fret ! La visite de la péniche… « C’est drôle de vivre la-d’dans ! » Sortir le porto… Déplier l’accordéon !... Chanter… Déchanter…
Déjà sept heures ! Et maman qui m’attend !... Où ai-je mis ma culotte ?...
Enfin ! Passé 20 ans, longues jambes, c’étaient nos « trois-mâts » » ! Mais Margaret Severn, un vrai « clipper », imbattable dans les challenges trans-océan. Quelle coupe ! Quels gabarits ! Et c’est bien par brises et zéphyrs que je la complimentai, jutant l’admiration… Impatient de la fixer pour la postérité… »
À croire que Louis-Ferdinand a prodigué à Henri des cours d’écriture céliniennes.
J’ai découvert sur le web, madame Sonia Anton, maître de conférences en littérature française de l’Université du Havre, spécialiste de la littérature épistolaire et en particulier de celle de l’écrivain Céline. Dans son livre Le territoire littéraire du Havre dans la première moitié du XXe siècle, elle rédige un paragraphe : Louis-Ferdinand Céline, d’un Havre à l’autre : entre autofiction, transposition et imaginaire. (p.159-175 – PU. Rouen).
Le côté maritime de cet article me semble très adapté à nos recherches sur les belles-lettres océaniques. Toutes les citations ci-dessous relèvent de son ouvrage et résultent de ses recherches.
Découvrons maintenant, sous sa plume, la biographie célinienne liée au port du Havre.
Ses père et grand-père sont Havrais. « Céline a lui-même séjourné au Havre à plusieurs reprises, dans les années 1930 », elle évoque Le Havre, lieu d’origine de la famille de Louis-Ferdinand. Son grand-père, Auguste Destouches, agrégé de rhétorique, professeur au lycée de cette ville, demeure, si je puis dire, caution de la bonne expression française de son petit-fils, même s’il est accusé de plus souvent traduire le langage des bas quartiers urbains et portuaires.
Sonia Anton analyse la façon dont l’auteur évoque la ville du Havre dans trois romans : « Mort à Crédit, D’un château l’autre et Rigodon, le dernier roman de Céline. » Il utilise le port du Havre comme « décors dans deux récits destinés à la scène (un ballet) et à l’écran (un dessin animé). » Elle peut affirmer « que la ville est très intimement associée à l’imaginaire célinien, en tant que port et qu’espace maritime. Elle s’inscrit dans le vaste réseau sémantique touchant l’élément marin, qui traverse toute la production de l’écrivain. »
Dans Mort à crédit, écrit notre professeur de lettres, Céline semble tracer le portrait de son père sous les traits du personnage d’Auguste :
« Au Havre, qu’il était né. Il savait tout sur les navires. (…) il contemplait les étoiles, l’atmosphère, la lune, la nuit, haut devant nous. C’était sa dunette. Je le savais moi. Il commandait l’Atlantique. »
« L’amour de ce dernier pour les bateaux est bien souvent évoqué sous une forme parodique, comme l’incarnation du dernier rêve dérisoire d’un homme aigri par une existence médiocre et gâchée. » :
« Mon père il n’était pas commode. Une fois sorti de son bureau, il mettait plus que des casquettes, des maritimes. Ç’avait été toujours son rêve d’être capitaine au long cours. Ça le rendait bien aigri comme rêve. »
« Dans toute l’œuvre, la mer et les ports constituent un espace dédié à la rêverie, parfois au fantastique, presque toujours à la poésie », note Sonia Anton.
Le docteur Destouches, comme Henri Mahé, était subjugué par la mer, les bateaux et les ports. Au point, note Sonia Anton, qu’un trois-mâts barque gravé orne la tombe de notre écrivain dans le cimetière de Meudon.
Enfant, il a découvert le musée de la Marine à Paris :
« J’ai passé là, des semaines entières… Je les connaissais tous les modèles… (…) Moi, les voiliers, même en modèles, ça me faisait franchement déconner… J’aurais bien voulu être marin… Papa (Fernand Destouches) aussi autrefois… C’était mal tourné pour nous deux !... Je me rendais à peu près compte… »
Puis, Sonia Anton relève des propos « prémonitoires ou avant-gardistes ».
Céline a appelé de ses vœux dans Bagatelle pour un massacre la création d’un « Grand Paris » qui relierait la capitale à la Manche et oxygénerait la ville. En réaction à la construction du Palais de la Découverte, qu’il juge inutile :
« Je ne voudrais pas donner de conseils ! Mais enfin si c’était moi-même, j’aurais attaqué d’autor quelque gigantesque boulot. Par exemple tripler la Seine jusqu’à la mer, en large comme en profondeur (…) La Seine maritimisante, c’est déjà fort beau, mais ça ne suffit pas !... (…) Je décréterais la construction du plus bel autostrade du monde, d’une immense ampleur, cinquante mètres de large, quatre voies, direction Rouen et la Manche. (…) Ils ne demandent que ça entre le Havre et Le Tréport ! un éventail de vifs accès vers le bonheur, vers les poumons, vers le grand vent, vers les globules, vers la mer !... (…) La seule banlieue possible d’une ville de quatre millions d’habitants, c’est la mer (…) Éparpiller ce Paris, faire de lui, petit Poucet, jusqu’au bord des vagues. »
En lisant cette citation, j’ai pensé à nos réflexions pour maritimiser la France. Notre pays demeure géographiquement celui aux rivages marins multiples sur notre planète, et nous avons le regret qu’au Moyen Âge le royaume de France fût séparé par le duché de Normandie. Sans ce handicap, nous serions certainement devenus une importante nation maritime. L’idée de Céline n’apparaît pas si irréalisable que cela. L’autostrade, nous l’avons, elle s’appelle : autoroute A 13. La liaison fluviale entre Paris et la Manche existe, il suffit de développer le trafic de barges et de péniches comme sur le Rhin, d’aménager la seine et ses ponts. Je rêve comme Louis-Ferdinand et j’arrive à me persuader que cela reste une excellente idée.
Me voilà arrivé à cette présentation de Céline aspirant l’air du large et celui des bas quartiers du Havre ; toute l’œuvre de cet auteur présente souvent de grandes villes portuaires dans ces ouvrages de Mort à crédit, D’un château à l’autre (1957), Nord (1960), à Rigodon (1960).
Nous avons beaucoup d’auteurs qui n’ont produit qu’un seul ouvrage de littérature marine : je pense à George Sand avec l’Uscoque (histoire d’un pirate vénitien), et à Victor Hugo et son fabuleux Les Travailleurs de la mer, etc. ; Céline a écrit Scandale aux abysses.
En une nuit, j’ai lu ce petit roman où le dieu Neptune, vieillissant, vit avec Vénus qui passe des heures devant son miroir à se maquiller pour effacer les outrages du temps, l’eau salée creuse les rides. Elle essaie son charme sur tout le personnel du palais de coquillages et sur les nombreux visiteurs, en vain, et devient d’une jalousie extrême.
Neptune, dans sa décadence, se console avec son corps de ballet des sirènes. Il tombe amoureux de la frêle, mutine et espiègle Pryntyl. Vénus, jalouse, obligera le roi des mers à chasser la pécheresse, à la transformer en femme et à l’envoyer dans l’enfer humain des bas quartiers portuaires du Havre.
Dans ce texte, Céline, dans un large trait de chalut, écrit et rassemble toute la faune et la flore qui entoure le Palais de Neptune et de Vénus aux Abysses, à proximité de Terre-Neuve, par 3472 m de fond et par 42 ° de longitude N.O. (environ précise l’auteur). Curieusement et en avance sur son temps, il aborde aussi les problèmes de surpêche et la mécanisation à outrance des transports maritimes.
Céline disait de son contemporain suisse, Charles Ramuz, qu’il était « l’initiateur du transfert de la langue parlée dans la langue écrite » ; je n’apparais pas comme un maître du style célinien, loin de là, mais je pense que cette citation lui va « comme un gant ». En le lisant, nous avons le sentiment de vivre des péripéties qui se déroulent sous nos yeux, son texte ressemble à une véritable chronique.
Maintenant, dois-je l’intégrer dans la liste des auteurs inspirés par le peuple de la mer ? Comme nous disons aujourd’hui, pour faire mode, il rassemble tous les critères pour en faire partie, surtout celui d’avoir survécu au TEMPS, cet impitoyable critique littéraire.
J’espère ne pas vous avoir ennuyés avec ces pages d’histoires littéraires océaniques.
Bien cordialement, et à bientôt pour une nouvelle causerie écrite à l’eau salée.
07:00 Publié dans René Moniot Beaumont | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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