jeudi, 16 juillet 2015
Entretien avec Christian Rol, auteur du "Roman vrai d'un fasciste français"...
sur le site du
Club Roger Nimier
Christian Rol, pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter à nos lecteurs en quelques mots ?
Je mesure un mètre quatre-vingts, j’ai les épaules larges et le compte en banque mince. J’ai dépassé l’âge de Drieu lorsqu’il s’est suicidé et j’aime la même femme depuis 12 ans.
En simple guise de rappel pour ceux qui nous lisent et ne connaîtraient pas encore vos récents efforts, vous êtes l’auteur du « Roman vrai d’un fasciste français », un ouvrage publié par les éditions « La manufacture de livres » en avril dernier ; aussi l’avez-vous sous-titré : Vies et mort de l’homme qui tua Pierre Goldman et Henri Curiel.
Ce fasciste français aux vies multiples, né en 1951 et mort en 2012, c’est à l’état civil le Marquis René Resciniti de Says ; connu comme « l’élégant » dans le Milieu, il était Néné pour les intimes. L’un de ses compagnons d’armes a choisi de dresser son portrait de la manière qui suit : « C’était un aristocrate en recherche. Mi-voyou, mi-dandy. Il oscillait toujours entre l’oisiveté et l’action, entre l’activisme et la dolce vita sur les Champs-Elysées dont il était un pilier ; entre l’uniforme des commandos parachutistes et les sapes des grands faiseurs. Et puis, il était obsédé par les femmes! D’ailleurs, la première chose qu’il a faite en arrivant en Amérique centrale, c’est d’aller au bordel. Je venais juste de lui remettre sa première solde! »
Est-ce là selon vous un résumé à peu près exhaustif de ce véritable personnage, dont la vie aura été digne d’un roman ?
Non. Néné était plus complexe que cela. Il avait notamment une culture encyclopédique dont on se demandait où il l’avait puisée compte tenu de son style de vie qui n’était pas exactement celui d’un sage retiré dans sa thébaïde. D’ailleurs, un de ses amis a pu dire de lui qu’il se cachait pour lire, comme d’autres se cachent pour boire.
Quelle est l’origine de son surnom « l’élégant » ?
« René l’Elégant », c’était au départ un clin d’œil au monde des voyous à l’ancienne, dans le registre de Simonin. Mais René était vraiment un dandy (et un voyou); à la fois dans sa vie (pas toujours) et dans le choix de ses vêtements.
Il a consacré des fortunes aux fringues dont il savait tout. Mais il n’avait pas l’élégance endimanchée ni provinciale. C’était une élégance sans ostentation, donc de grande classe.
Avant d’incarner ce personnage qui vous a inspiré un livre, René était d’abord et avant tout votre ami. Quelles furent les circonstances de votre rencontre ?
Cela remonte au début des années 70 quand il avait vingt ans…
Et moi dix ans.
A l’époque, il était très ami avec des gens de ma famille et il passait de temps à autres pour écouter du rock et parler politique. Il avait quelque chose de James Dean qui me fascinait. Quand il arrivait dans le grand appartement bourgeois de mes parents, c’était un vent d’aventure qui s’engouffrait. Sa réputation de dur le précédait partout d’un quart d’heure et moi, j’étais plus sensible à ce genre de personnage qu’aux bourgeois pépères. Et puis, c’était aussi un type adorable…
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un ouvrage sur sa vie ?
D’une part, parce que sans le savoir, René m’a énormément influencé dans la vie. Comme un écrivain peut influencer un lecteur. Très tôt, les échos qui me parvenaient via les aînés de notre fratrie, situaient Néné hors norme. A mes yeux d’enfant, déjà réfractaire à toute forme d’autorité ou de hiérarchie, ce marquis italien habitant les Champs Élysées, avec ses bastons, ses aventures en Afrique, au Liban et ailleurs, était l’incarnation du vrai rebelle. Donc, chez moi, il y a une admiration d’enfant à l’endroit de son « héros ». D’autre part, je n’ai jamais renié mes engouements d’enfance. Contre vents et marées, je suis demeuré le même. René aussi que j’ai croisé tout au long de ma vie. Je l’aimais beaucoup et ce livre est un hommage.
Derrière l’image du gentleman-voyou tout à la fois dandy de grands chemins et condottiere-dilettante, la personnalité de René se révèle également très complexe: pourvu d’une culture étendue et raffinée mais aussi d’une grande sensibilité et d’un réel sens de l’humour, ce caméléon social autant charismatique qu’insaisissable évoluait avec une même aisance dans des environnements parfois antagonistes. Il apparaît ainsi tout autant à son aise dans les arrières salles de bars louches, en compagnie de truands corses, que dans les soirées mondaines des Princes d’Orléans.
Comment expliquez-vous une telle polyvalence?
Je me le demande encore. D’autant que je serais bien incapable d’une telle polyvalence. Mais, vous savez, René était un mec qui suscitait l’adhésion. J’ai rencontré des gens venus d’horizons très différents qui, tous, louaient cet homme du monde qui était aussi un bastonneur hors-pair, un érudit, un boute-en-train, un cinéphile dont même Lautner prisait la culture, etc. René était unique. Vraiment!
Il y avait une part de mise en scène chez lui, de dérision et une grande intelligence.
Quels sont les autres univers dans lesquels René a évolué au cours de sa vie aventureuse ?
Il a été mercenaire avec Bob Denard pour un Coup d’État raté au Bénin, phalangiste au Liban en 1976, et, vraisemblablement, homme de main pour les « services ». Il a été aussi un voyou de grands chemins mais tout cela est dans le livre.
Concernant la forme de cet ouvrage très particulier, il me paraît nécessaire de préciser qu’il ne s’agit pas d’un roman au sens propre du terme ( qui serait plutôt noir en l’occurrence) ni, à l’opposé, d’une enquête journalistique, mais d’un livre romanesque. Cependant, votre travail préparatoire s’articule de facto à un travail d’investigation poussé.
Pourquoi avez-vous choisi de croiser le témoignage de ses proches à vos propres souvenirs ? Un roman plus conventionnel a t’il été envisagé ?
René était un personnage de roman et sa vie épouse une trame romanesque. Mais je ne voulais pas écrire un livre « à clef », tout en allusions et faux nez (même si dans l’ouvrage quelques témoins apparaissent sous des pseudonymes).
Je voulais retranscrire la vérité d’un homme et de plusieurs époques mais avec le soucis d’être « littéraire ».Tout cela sans fard, ni précautions. Tant pis pour ma « carrière »…
La grande révélation de votre livre, c’est l’identité de l’auteur des assassinats de Pierre Goldman et d’Henri Curiel, qui furent des affaires « politiques » sensibles et fortement médiatisées à la fin des années 1970. Pourquoi et pour le compte de qui René a-t-il mené à bien ces deux exécutions ?
René devient activiste nationaliste à partir de mai 68 quand il a 16 ans. L’âge venant, son engagement devient de plus en plus « sérieux » qui le voit devenir vraiment un soldat politique sans le moindre état d’âme. Souvenons-nous de l’ambiance : Guerre froide, gauchisme triomphant en France, années de plomb dans l’Italie voisine, terrorisme en Allemagne, etc. Après le Liban où il se rend comme Volontaire, il est approché par les Services de l’époque qui en feront une sorte de « pigiste », c’est-à-dire un élément extérieur dont on sait qu’il est disponible pour des missions sensibles. Notamment pour l’élimination supposée de gens comme Curiel et Goldman.
Suite à ces révélations, avez-vous été la cible de pressions ou de menaces ?
Non, parce que je ne vais pas trop loin dans la confidence. Je sais qui a fait quoi mais je ne suis ni suicidaire ni une balance. C’est d’ailleurs ce que me reprochent les « journalistes d’investigation » ou de faux amis comme un certain Grégory Pons qui n’a cessé de me décourager d’écrire ce livre de diverses manières. Son sabotage en règle est d’ailleurs plus sournois et redoutable que de vraies menaces parce que ce personnage qui a fait les 400 coups avec Néné, avant de cracher sur sa tombe, et qui se disait mon ami – au point de vouloir m’aider pour ce livre avant de se rétracter – publie dans la revue Éléments un article à charge. Mais avec Pons, la délation c’est une seconde nature puisqu’il a débuté sa carrière « d’écrivain » en publiant « Les rats noirs », brûlot contre le Mouvement nationaliste des années 70. Il aurait bien voulu écrire ce livre mais comme il n’en n’avait pas le courage – sa petite carrière dans les montres à Genève en aurait pâti – il préfère le descendre… C’est le profil type de l’aigri un peu lâche. Il mériterait une bonne fessée, mais là aussi, il serait capable d’aller porter plainte chez les flics.
Un projet de film a été évoqué. Est-il toujours d’actualité ?
Oui, il en est question. Sylvie Pialat qu’il a rencontrée semblait réceptive. Mais il faut dire que l’époque est plutôt à l’éloge de Goldman plutôt qu’à un film sur Néné.
Une vie aventureuse comparable à celle de René est-elle toujours possible pour un jeune homme de notre époque ?
Oui, j’en suis convaincu. Je crois même que notre époque, parce qu’abjecte à tous les points de vue, va générer des individus d’exception, des desperados comme Néné. D’ailleurs, les types qui partent se battre au nom de l’Islam (je ne parle pas des ordures qui tranchent les gorges mais des combattants réguliers) sont des idéalistes qui n’en n’ont rien à foutre de la république, de Charlie, des applications sur I Phone, du mariage pour tous et de la modernité. Même chose pour ceux qui vont en Ukraine ou côté Russe pour des causes perdues. Pour moi, ces jeunes mecs sont des chevaliers.
Vous êtes également l’auteur d’un unique roman qui a la particularité d’avoir été publié sous deux titres différents : French Cancan aux éditions Scali et Les slips Kangourous aux éditions Stéphane Million. Pourquoi ce double baptême ?
Parce que le premier éditeur de French Cancans n’a pas poussé ce roman. Mon ami Stéphane Million qui l’avait publié comme directeur de collection chez Scali a décidé de le publier dans sa récente maison d’édition sous un autre titre et de lui donner enfin sa chance.
Arsène, l’un de vos personnages, me rappelle celui de Alain dans Le Feu follet (de Drieu la Rochelle). Votre sens de la formule et vos nombreux jeux de mots me font penser à la patte de San Antonio. Quant à l’atmosphère du roman, il y flotte une « mélancolie buissonnière » cousine de Blondin.
Ai-je percé à jour vos sources d’inspirations ?
A l’exception de San Antonio que je n’ai jamais lu (parce que je n’aime pas Frédéric Dard) ce sont là des influences que je revendique. Mais, lorsque j’ai rédigé le bouquin, je ne m’en suis pas rendu compte.
Quels sont les principaux thèmes de votre roman à deux titres ?
Les filles et les copains d’abord. L’amour d’une France qui n’est plus et, dans une certaine mesure, l’action.
Détestez-vous le monde moderne ?
Oui. De toutes mes fibres ! Et ce depuis l’enfance. Je ne voulais pas devenir adulte. J’avance dans cette vie à reculons.
Et ses femmes minces avec ?
J’aime les femmes comme un homme normalement constitué. Pulpeuses, minces, voisines de palier, touristes étrangères, bourgeoises, ostéopathes ou coiffeuses, les femmes sont une torture pour mes sens. Mais je n’aime que la mienne qui est une femme enfant.
Vous considérez-vous comme fasciste ?
Avant, je vous aurais dit oui par conviction et provocation à la fois. Même s’il y a une grande part d’anarchisme chez moi. Mais le label « fasciste » est trop galvaudé (même ce pauvre Le Corbusier désormais en est victime) pour qu’on puisse s’en réclamer. Cela dit, j’ai la nostalgie de cette aventure politique révolue qui réunissait, dans sa composante païenne et évolienne, tout ce que j’aime et respecte : l’héroïsme, le culte de la nature, la protection des faibles, l’amour des animaux, la brutalité avec les salopards, la négation du matérialisme, la liberté, le mépris des vieilles lunes chrétiennes, la fin des nationalismes, la libération des corps, le féminisme authentique, etc. Le fascisme devait être au XXème siècle ce que la Renaissance a été mais on sait ce qu’il en est advenu.
Que trouverait-on sur votre table de chevet ?
Une boîte de Xanax, des ouvrages sur l’Afrique (que j’aime beaucoup) et une lettre de la banque.
S’il vous était possible de choisir un écrivain, mort ou vivant, avec qui partager un dîner, sur qui porteriez-vous votre choix ?
Pour les vivants, Nabe : même s’il se dit qu’il est imbuvable. Pour les chers disparus, Lucien Rebatet (le plus grand écrivain du XXe siècle) et Drieu la Rochelle.
A quand remonte votre dernière bagarre ?
La dernière bagarre (avortée) remonte à quelques mois. Ma compagne s’est interposée entre moi et une ordure qui maltraitait son chien. Malgré mes bonnes dispositions – elle m’a dit qu’elle me quitterait si je me battais encore – j’ai vu rouge. Je voue aux animaux un amour très déraisonnable.
Etes vous un amateur de virées au bordel ?
Pas mon truc…
Quel est le meilleur endroit pour lire un livre ?
Dans son lit, je suppose.
Et pour se mettre à en écrire ?
Dans une vieille maison retirée de tout (le Cotentin ou le Cantal par exemple) avec la pluie pour décor, le feu qui crépite dans la cheminée et la promesse de pouvoir nager dans un lac ou la mer après avoir bossé.
Pourquoi devient-on écrivain ?
Je ne me prends pas pour écrivain, paradoxalement. En tout cas, j’aimerais être autre chose que cela même si c’était une ambition inaccessible quand ça m’a pris aux alentours des 24 ans. Je n’avais jamais lu, et pour moi rédiger 3 feuillets, c’était un tour de force. Mon inaptitude à la vie réelle, ma révolte intacte depuis l’adolescence et quelques lectures déterminantes ont décidé de la suite.
Avez-vous un prochain roman en préparation ?
De vagues idées seulement…
Entretenez-vous d’autres projets littéraires ?
Des trucs alimentaires comme « nègre », hélas…
Interview réalisée par Romain Bouvier pour le Club Roger Nimier
Le roman vrai d'un fasciste français
Christian Rol
La manufacture du livre
avril 2015
336 pages - 20,00 €
16:39 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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