dimanche, 07 novembre 2010
Malheur aux peuples qui ne se connaissent pas d'ennemis...
Par Jean-Gilles Malliarakis
Au moment où nos dirigeants faisaient des ronds de jambe aux maîtres de la Chine, l'Assemblée nationale évoquait, ce 4 novembre, le budget de la défense nationale. Plusieurs intervenants ont affirmé une vérité fondamentale dans ce domaine : on ne saurait parler de ce sujet sous un angle exclusivement financier, sans penser aux soldats français engagés en Afghanistan et à leurs camarades déployés sur 24 missions hors métropole.
On doit aussi souligner la qualité du débat et, sur les points essentiels, la convergence des interventions. De la droite au parti socialiste, les divers parlementaires travaillant sur cette matière, régalienne par excellence, s'accordent.
La seule exception se situe dans les rangs communistes. Le camarade Candelier est ainsi intervenu ce jour-là en faveur de la Corée du nord : "ce pays représente la quatrième puissance militaire mondiale, forte de plus d’un million de militaires actifs et de l’arme nucléaire. Je pense qu’un dialogue non condescendant, un traité de paix et une reconnaissance diplomatique seraient plus efficaces qu’un bouclier antimissile, pour lequel l’OTAN fait le forcing, au service des industries américaines de défense." Faut-il commenter ? Personne ne parle jamais de ce genre de "dérapage" venant de ces gens-là.
À l'exclusion des continuateurs réconciliés du stalinisme et du trotskisme, donc, tous les intervenants estiment préoccupante la diminution constante des efforts de la nation, et du renoncement lancinant, de l'Europe face à la montée des périls. Certains parlent, pour le futur, de la perspective d'un condominium américano-chinois. Cette manière de présenter les choses répond au modèle naïf tendant à calquer l'avenir sur le passé. La situation qui prévalut entre le conférence de Yalta en 1945 et la disparition de l'Empire soviétique en 1991 n'existe plus. À cette date, Pierre Joxe, ministre du gouvernement Rocard enclencha le processus de retour de la France dans la bureaucratie de l'OTAN. En réalité, même une telle vision rétrospective se révèle aujourd'hui périmée. Les États-Unis portent actuellement encore 50 % en valeur des budgets de défense du monde entier. Mais, parallèlement, en Chine la croissance des dépenses militaires a atteint plus de 217 % en 10 ans. De 2001 à 2009, elles ont augmenté de plus 105 % en Russie, plus de 75 % aux USA, plus de 67 % en Inde et plus de 38 % au Brésil. En Europe elles reculent.
En dehors de ces considérations quantitatives on doit souligner aussi la nécessité de s'adapter à des risques nouveaux et aux nouvelles technologies opérationnelles : surveillance et militarisation de l’espace, défense informatique, évolution du renseignement, lutte contre le terrorisme et contre la prolifération nucléaire, ombre mortifère des armes chimiques et biologiques.
Cette année encore, cependant, l'effort militaire européen recule. La France passe pour l'un des rares pays à s'en préoccuper. Mais elle n'y consacre plus que 1,55 % de son produit intérieur brut. Les Américains 5 %. Les Chinois 10 %.
Chaque année à Paris les programmes de défense de la loi de finances diminuent dans le beau tableau des 34 missions du budget général de l'État. Au nom de la RGPP, "Révision générale des politiques publiques", annoncée en 2007, puis au nom de la crise en 2008, le recul n'a cessé de poursuivre une pente amorcée depuis les années 1960. Et l'on se propose désormais de financer une part de cet effort déclinant par des ventes de terrains à des promoteurs immobiliers ou de cessions de fréquences hertziennes à des opérateurs téléphoniques. Ces recettes se révèlent d'ailleurs, d'année en année, fort hypothétiques.
On passera ainsi, d'un budget de la défense de 32,2 milliards d'euros pour l'exercice 2010, à un montant de 31,2 pour 2011.
A-t-on édité en 2007-2008 un Livre blanc sur la défense ? A t-on voté en 2009 une loi de programmation militaire ? Dès 2010 on en décale d'importantes dispositions. Cela vaut, dans l'armée de terre, pour le programme SCORPION, destiné à la modernisation des groupements tactiques interarmes des unités du combat au sol de même que pour la surveillance et de commandement des opérations aériennes.
L'armée de l'air continue de pâtir de l'échec commercial du Rafale à l'exportation. On fait attendre la rénovation des Mirage 2000D. On diffère l'utilisation du ravitailleur airbus MRTT (1). On reporte aussi le satellite de renseignement CERES. etc.
Symboliquement les effectifs de l'armée de terre passeront cette année au-dessous de la barre des 110 000. Plus de 20 % de cet effectif est déployé loin de nos frontières. Ce lent déclin la place au niveau de ce que le pacte de Varsovie assignait à la Bulgarie en 1989.
De ce point de vue l'accord purement bilatéral franco-britannique signéà Londres ce 2 novembre a sans doute pu choquer certaines sensibilités fédéralistes continentales, en l'absence de tout symbole d'Europe. Mais on doit, par ailleurs, se représenter que les deux États disposent à eux seuls de 50 % du budget militaire de l'ensemble des 27, de 65 % des crédits d'équipements et de 70 % des efforts de recherche et développement.
On ne peut que constater la paralysie des institutions communautaires. On n'oubliera pas que d'ailleurs, depuis l'adhésion de 1973 l'euroscepticisme britannique et le souverainisme français depuis le référendum de 2005 y ont fortement contribué. L'Europe confédérale n'existe pas encore. Or, la défense du continent doit, entre-temps, être pensée et mise en œuvre. La faire exclusivement reposer sur le seul bon vouloir de M. Obama relève de l'aveuglement.
Dans quelques jours, les pays membres de l'OTAN, au sein de laquelle la France est devenue le quatrième contributeur, se réuniront à Lisbonne. Peut-être les questions stratégiques auront-elles, d'ici là et dans ce court laps de temps, bénéficié d'un traitement médiatique un peu plus attentif.
Sur France 5 (2), ce 4 novembre, on a entendu le général Henri Bentegeat, ancien chef d'État-Major des armées françaises de 2002 à 2006, soutenir le point de vue que pour la première fois de son Histoire la France ne se connaissait pas d'ennemi. Le scepticisme se lisait sur le visage d'un de ses interlocuteurs (3). Ceci amena notre sympathique stratège à préciser que le danger évident, – que nous nous autorisons à qualifier d'islamo-terroriste, – n'était plus représenté par un État.
Si l'on s'était préoccupé, entre 1917 et 1991, de songer que la politique mondiale de Moscou n'exprimait pas la géopolitique d'une nation mais "l'entreprise" (4) d'une idéologie totalitaire, on aurait évité bien des erreurs.
Malheur au pays qui ne se connaît pas d'ennemis.
Notes
1. 1 - Avions dit "multirôle de ravitaillement en vol et de transport" [sigle anglais : Multi-Role Transport Tanker] destinés à remplacer les 14 ravitailleurs actuels (KC-135R - 3 avions, C-135FR - 11 avions) aussi bien que les transporteurs.
2. 2 - cf. l'émission "C dans l'air" l'émission d'Yves Calvi traitait le 4 novembre" Paris et Londres font la bombe".
3. 3 - M. Pierre Servent, lieutenant-colonel de réserve de l’armée de terre, qui fut de 1995 à 1997 porte parole du ministère de la Défense, et qui intervient souvent sur les questions stratégiques dans les médiats
4. 4 - Ce que démontrent les travaux de Jules Monnerot.
10:51 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
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