vendredi, 15 février 2013
Homme sans droits au pays des droits de l’homme...
Dominique Jamet
Boulevard Voltaire cliquez ici
Hier, en France, à Nantes, une ville qu’a longtemps administrée notre Premier ministre, un homme de quarante-deux ans s’est immolé par le feu devant une agence de Pôle Emploi. Là même où on lui avait patiemment expliqué, deux jours plus tôt, qu’ayant eu la chance de trouver un petit boulot alors même qu’il bénéficiait déjà d’une allocation de chômage et, ayant dépassé de quelques heures le plafond en-deçà duquel il aurait pu cumuler les revenus de son activité et ceux de son inactivité, il ne devait pas seulement rembourser les quelques misérables centaines d’euros indûment perçus, mais qu’il était du même coup arrivé en fin de droits. Que la société ne pouvait plus rien pour lui. Qu’il n’avait plus droit à rien. Qu’il était un homme sans droits, au pays des droits de l’homme. Qu’il n’était plus un homme.
Issu de la fusion entre feue l’ANPE et les Assedic, Pôle Emploi est devenu un des plus gros employeurs de ce pays. À quelque chose malheur est bon : le chômage crée de l’emploi. Pour autant, les 45 000 salariés de Pôle Emploi sont dépassés par l’ampleur de leur tâche. Que peuvent-ils, submergés qu’ils sont par le flot des trois millions de demandeurs d’emploi officiellement enregistrés, auxquels les statistiques se gardent bien d’ajouter ceux qui, ayant perdu toute espérance, ne se présentent même plus à leurs guichets ?
On ne peut pas reprocher aux employés de Pôle Emploi de ne faire que ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire pas grand-chose. On ne peut pas leur reprocher d’appliquer à la lettre des règles tatillonnes fixées en des temps plus heureux. On ne peut pas leur reprocher de ne pas être assez nombreux pour accueillir, écouter, comprendre et traiter humainement, autrement que comme des numéros impersonnels, que des dossiers fastidieux, les épaves humaines, cette écume de la société, que le malheur des temps vient déposer devant eux. On ne peut pas leur reprocher de ne pas donner de travail à ceux qui meurent de ne pas travailler, puisqu’il n’y a pas de travail.
Nous sommes depuis quelques années familiers de ces faits-divers dont les images horribles nous montrent des êtres humains qu’un désespoir sans issue pousse à s’asperger d’essence et à se transformer en torches vivantes. Mais jusqu’ici, c’était ailleurs. C’était au Tibet, c’était en Chine, c’était au Vietnam, c’était dans ces contrées lointaines où l’État nie la liberté et la dignité humaines. C’était, plus récemment, en Grèce, là où l’État a disparu, abandonnant son peuple au vent glacé de la crise. Hier, c’était en France, à Nantes, là où se jette dans l’Océan le fleuve que nous identifions depuis cinq siècles à notre civilisation, à notre pays, à la douceur d’y vivre. Voilà où nous en sommes.
11:44 Publié dans Revue de presse | Lien permanent | Commentaires (0) | | Facebook | |
Les commentaires sont fermés.