Robert Spieler
Rivarol du 4 septembre 2014
Anne Le Pape vient d’écrire la première biographie de François Brigneau. Passionnante. Elle a paru aux éditions Pardès. On y découvre ce journaliste de combat, d’une énergie époustouflante et d’un courage sans limite, qu’un sondage de notoriété de l’IFOP classait en 1965, comme deuxième journaliste de France. Il fut salué par des hommes aussi différents que Frédéric Dard et Jean Madiran, Céline et Roger Hanin, Hubert Beuve-Méry et Jacques Vergès, Robert Brasillach et Jean Gabin, Yvan Audouard et Michel Déon, Pierre Boutang et Albert Simonin, Arletty et Raymond Bourgine, Antoine Blondin, Pierre Lazareff, Jacques Benoist- Méchin, Marcel Pagnol ou Alphonse Boudard.
Sa jeunesse
WellAllot est né le 30 avril 1919 à Concarneau. Ce breton, qui prendra plus tard le pseudonyme de François Brigneaua un père instituteur, vigoureusement républicain (Il adhèrera au Parti communiste) et une mère ainsi qu’une grand-mère profondément catholiques. Ambroise, son grand père, est patron pêcheur. Un personnage :« Taciturne à jeun, quand il avait bu il aurait cherché querelle à ses sabots », dira de lui son petit-fils. Le petit Well grandit dans une atmosphère de deuil. La Bretagne, qui a sacrifié près de deux cent quarante mille de ses enfants lors de la Grande guerre, a particulièrement souffert. Well en conservera une solide méfiance à l’encontre des va-t-en-guerre de tous bords.Well n’est certes pas un élève modèle. Il se décrit ainsi : « Turbulent, bagarreur, distrait, grand lecteur de romans, j’estimais inutile de travailler en classe et d’apprendre mes leçons, ou de m’appliquer sur mes devoirs à la maison ». Il s’intéresse à l’aventure maritime en solitaire, à la littérature, au football, au vélo et… rêve de devenir journaliste comme Jules Vallès et Henri Béraud. A douze ans il fonde son premier journal, David, référence à David Copperfield, son livre de chevet.
L’ombre de la guerre, puis la guerre
Quand Well a seize ans, commence la grande bataille pour la paix. Il découvre Paris en 1937, ses intellectuels marxistes, antimilitaristes, dénigrant l’ordre et la patrie. Découverte qui le bouleverse. Il se sent dans un premier temps proche du Front populaire mais sera bientôt munichois, par haine de la guerre et crée à Concarneau une section des jeunes du Parti frontiste de Gaston Bergery. Well vend La Flèche à la criée sur le port avec ce slogan : « Contre la guerre ! Contre les ingérences étrangères ! Contre les oligarchies financières ! » . Il est mobilisé en 1939. Ses souvenirs qui l’ont marqué ? Il répond cinquante ans plus tard : « L’ivrognerie. Le vin chaud du soldat fait des ravages : on boit le matin pour se mettre en train. On boit le soir pour glisser dans le sommeil. On boit dans les chambrées. On boit à la cantine… Quelle image ! Et quelle armée ! » Le seul soldat qui trouve grâce aux yeux du jeune Allot est le maréchal Pétain. Installé à Paris en novembre 1942, il découvre dans Je suis partout les éditoriaux de Robert Brasillach. Il lit Notre avant-guerre. Il aime sonstyle, ce mélange d’humour et de tendresse, de gentillesse et d’intelligence. C’est le début d’une amitié forte. Well découvre en Brasillach le grand frère qu’il n’a jamais eu. Robert lui fait découvrir Maurras et l’encourage à écrire. Et puis, alors que la guerre est d’évidence perdue, il s’engage le 6 juin 1944 dans la Milice. Pourquoi ? Il a beaucoup d’admiration pour le « vieux Joseph » Darnand. Et puis, racontera-t-il : « Par orgueil, par sentiment, pour ne pas avoir l’air d’un ‘dégonflé’, parce que beaucoup de mes copains avaient été tués par le maquis, parce que tout ce que disait Londres me révoltait, parce que je voulais servir le Maréchal ». Les conséquences ? : « Deux mois d’engagement maudit, cinquante ans de galère », dira-t-il. A Fresnes où il sera incarcéré quinze mois, il fréquente du beau monde dont bien sûr Brasillach, Henri Béraud, Benoist-Méchin et même Tino Rossi. Brasillach lui adressera une dernière lettre, le 28 janvier, dans laquelle il écrit : « Je ne veux pas faire de littérature, mais tu sais que je suis très fier de t’avoir connu et de t’avoir inspiré de l’amitié ».Well sera acquitté par la cour de justice de la Seine le 17 décembre 1945 mais frappé de dix ans d’indignité nationale (« d’indignation nationale », dira-t-il).
Well Allot, journaliste et écrivain
Le futur François Brigneau va collaborer sous divers pseudonymes à de nombreux journaux et revues dont plusieurs sont monarchistes : Paroles françaises de Pierre Boutang, Rire,L’Indépendance française, Ici France, La Dernière Lanterne, etc… Son pseudonyme est Julien Guirec. En 1948 il organise même un spectacle de chansonniers dans un cabaret-dancing du boulevard Saint-Germain. Et puis, arrive son entrée dans la « grande presse ». Il rejoint France Dimanche (rien à voir avec l’hebdomadaire à scandales qu’il est devenu) où il assure le reportage des grands événements sportifs, puis celui des procès, comme celui de Marie Besnard, accusée d’empoisonnement. Julien Guirec va fonder, avec Maurice Gaït et Léon Gaultier, La Fronde, organe des petits contre les puissants. On y retrouve Antoine Blondin et Jean Pleyber. Seuls quatre numéros paraîtront. René Malliavin, directeur d’Ecrits de Paris propose à l’équipe d’élargir la formule et de lancer un hebdomadaire. En 1951 paraît le premier numéro de Rivarol, dont François Brigneau est le rédacteur en chef. On y trouve les plumes d’Antoine Blondin, de Pierre Dominique, d’AlbertParaz et de Ben (l’auteur de Voyage en Absurdie), qui en est aussi l’illustrateur. Robert Hersant lance alors Semaine du Monde et engage Guernec. Celui-ci choisit définitivement le pseudonyme de François Brigneau et devient vite rédacteur en chef. Il rejoindra par la suite Paris-Presse. Brigneau y sera heureux jusqu’au drame de l’Algérie. Ses reportages le mènent aux quatre coins du monde, de Washington (il suit la visite de Khrouchtchev) au Congo (il couvre la révolution de Lumumba) en passant par Berlin, Londres et même Alger en novembre 1960. Il deviendra en septembre 1962, grand reporter à L’Aurore et se rendra notamment à Rome pour le conclave, après la mort de Jean XXIII et rendra compte du procès de Bastien-Thiry. Moment douloureux, car il revivra les heures précédant la mort de Robert Brasillach.
L’aventure de Minute
Jean-François Devay, fondateur de Minute en 1962, va proposer à Brigneau d’y collaborer sans périodicité régulière. Le directeur de rédaction de L’Aurorele lui interdit et François, renonçant à une confortable carrière, claque la porte en 1964. Il sera nommé très vite rédacteur en chef de Minute et chargé des échos, poste stratégique. Voici comment Jean Mabire décrit le nouveau collaborateur : « Il a des yeux vifs, tour à tour malicieux et impitoyables, une crinière sombre qui se hérisse sous la pluie et descend loin sur les joues à la mode des gentilshommes corsaires de la marine en bois. Sa tête taillée à la hache se dégage difficilement d’une poitrine profonde comme un coffre de pirate ». Les ventes de Minute, dont le premier numéro s’est vendu à 70 000 exemplaires grimperont pour certains à 260 000 ! François Brigneausera, de 1964 à 1987, selon les mots de Jean-François Devay, le « porte-drapeau » de Minute où il assure une chronique régulière. Il est aussi reporter et se rend au Viet-Nam et au Moyen-Orient. Une anecdote savoureuse : Il rencontre Menahem Begin et lui demande, à propos de l’avortement que l’Etat d’Israël autorise si les Israéliens n’ont pas peur d’aggraver le déficit des naissances par rapport aux Palestiniens ; d’autre part ne songent-ils pas que le Messie attendu par les Juifs pourrait se trouver dans le ventre d’une de ces femmes qui veulent avorter ? Fureur de Begin qui cesse de parler français, vitupère en hébreu et lui tourne le dos… Minute sera bien sûr le journal le plus poursuivi de France. Les procès s’échelonnent : La Lica (qui n’est pas encore la Licra), le Mrap et bien sûr De Gaulle s’en donnent à cœur joie. Les condamnations pour offense au chef de l’Etat pleuvent. Commentaire de Brigneau : « Nous collectionnons les condamnations, comme d’autres les timbres ». Quand Brigneau qualifie la série Holocauste de « feuilleton de propagande », le journal est poursuivi dix-huit fois, grâce aux astuces du cabinet Badinter ! L’hebdomadaire va connaître une suite ininterrompue d’attentats. Les voisins surnomment l’immeuble de l’avenue Marceau « Beyrouth-sur-Seine ». En juin 1968, une bombe est posée au domicile de François Brigneau, à Saint-Cloud, blessant gravement l’éboueur d’origine immigrée qui perdra une main et la vue.
Présent, Le Choc du mois, National-Hebdo
Le 5 janvier 1982, le numéro 1 de Présent paraît. François en est l’un des fondateurs. En 1986, Présent organise un banquet de 1000 couverts pour fêter les 1000 numéros parus. Mais où est, bigre, Mathilde Cruz, qui tient une rubrique de télévision très appréciée ? Les lecteurs demandent à la rencontrer. On leur répond qu’elle vient juste de sortir. En fait Mathilde Cruz est un pseudonyme de François Brigneau ! Au printemps 1987, François, qui a passé vingt-trois ans à Minute, quitte l’hebdomadaire, en difficulté et sujet à des dissensions et rejoint National-Hebdo où il sera accueilli par Roland Gaucher et où le rejoindra bientôt son ami Serge de Beketch. Brigneau ne tardera pas à quitter Présent où il s’était exprimé en faveur de la liberté de recherche historique concernant la thèse d’Henri Roques, ce que Madiran, prudent, n’avait pas apprécié. Du coup, Brigneau claqua la porte, suivi de sept cent abonnés. Le Choc du mois paraît en décembre 1987. Brigneau y est chroniqueur. Mais le mensuel disparaîtra en juillet 1993. François Brigneau / Mathilde Cruz peut désormais se consacrer totalement à National-Hebdo. Il y accomplira son travail de « vieil écrivain de presse », « dans une grande liberté et avec un certain bonheur. »Il sera chassé de NH en décembre 1998, date où éclate la crise au sein du Front national, qui l’ébranlera profondément. Les divisions restent à ses yeux une maladie grave du mouvement national. Entendre traiter de « félons » les amis d’hier lui est insupportable. Mais il ne baisse pas les bras. Il fait partie de ceux qui soutiennent le lancement du Quotidien de France de Martin Peltier et donne des articles au Libre Journal de Serge de Beketch qui considère François comme le pater familias de sa famille d’esprit, son « roc politique ». Il y collaborera jusqu’au dernier numéro, celui du 22 octobre 2007, consacré à son fondateur qui vient de mourir. Puis il confiera encore quelques articles à Emmanuel Ratier pour Faits et Documents.
François Brigneau, militant politique
On a vu que François Brigneau, très jeune, vendait La Flèche, le journal du Parti frontiste de Gaston Bergery. Après la guerre, il donnera des conférences en faveur de l’amnistie. Le mouvement Poujade ne l’enthousiasme guère. Il rejoindra en 1965 le Comité national Tixier-Vignancour et participera à fond à la campagne présidentielle. Il contribuera en 1969 à la création d’Ordre Nouveau, dont il est membre du comité national. Lors d’un meeting nationaliste, le 13 mai 1970, il déclare : « Il faut faire un parti révolutionnaire blanc comme notre race, rouge comme notre sang et vert comme notre espérance ».Ordre Nouveau adopte une stratégie de front national et contribue à la fondation du nouveau parti, dont Jean-Marie Le Pen sera le président. Brigneau sera, avec Gérard Longuet, le principal rédacteur du premier programme politique du Front. Après la dissolution d’O.N., il rompra avec le F.N. et participera à l’aventure du Parti des Forces Nouvelles (PFN), avant de devenir, quelques années plus tard, un compagnon de route du FN qui émerge en tant que force politique. Comme on l’a vu précédemment, partisan d’un « ticket Le Pen / Mégret », la rupture de 1998 l’amènera à s’éloigner définitivement de l’action politique.
WellAllot / François Brigneau meurt le 9 avril 2012 à Saint-Cloud. Entouré de sa famille, de ses amis et de ses fidèles, il est enterré le 13 avril au cimetière de Saint-Cloud.
Pour commander le livre d’Anne Le Pape: François Brigneau, collection Qui suis-je, éditions Pardès, 12 euros, Pardès, 44 rue Wilson, Grez-sur-Loing 77880