Auteur de nombreux ouvrages et chroniqueur régulier sur le site EuroLibertés, militant depuis toujours du combat nationaliste et européen, Richard Dessens nous apporte aujourd'hui sa contribution à notre enquête sur "l'après crise du coronavirus".
S.N.
Richard Dessens
La globalisation financière du début des années 1980, a reposé sur la déréglementation (disparition dès 1971 du système des parités stables entre les monnaies), puis sur la désintermédiation bancaire, enfin sur le décloisonnement des marchés bancaires. Le trading haute fréquence qui automatise à la nanoseconde les transactions grâce à des algorithmes mathématiques en a rendu l’application effective.
Cette globalisation financière a entraîné la mondialisation des échanges à tous les niveaux, en faisant passer les préoccupations économiques au second plan, sans parler des impératifs sociaux qui devenaient peu à peu une variable d’ajustement au service des intérêts financiers et non plus économiques. L’économie s’est financiarisée en opérant une distinction effective entre l’économie réelle, celle des qui préoccupe les chefs d’entreprise, et l’économie financière devenue une économie virtuelle dominée exclusivement par le seul profit financier. Cette dichotomie a entraîné une course aux profits déconnectée des réalités de la production des entreprises et de leur développement. Des entreprises saines économiquement ont été détruites parce qu’elles ne versaient pas des dividendes suffisants à des actionnaires attirés exclusivement par un taux de rentabilité de leurs investissements.
Le second effet a touché la célèbre répartition tripartite de Keynes pour lequel la répartition du résultat d’une entreprise devait s’effectuer entre le capital, le travail et l’innovation à parts à peu près égales. La mondialisation a poussé à verser des dividendes de plus en plus importants au capital, au détriment du travail – c’est-à-dire des salaires et de l’emploi - et même de l’innovation. Faute de quoi le capital s’envolait vers d’autres entreprises partout dans un monde avide d’un profit nouveau, facile et permettant l’émergence d’Etats et de financiers sans scrupules.
Le troisième effet consécutif se répartit entre l’effondrement du tissu industriel français, et la délocalisation d’une autre partie de la production vers ces Etats émergents et/ou aux exigences sociales et fiscales très faibles.
Les bienfaits de la mondialisation se sont faits principalement aux dépends de l’Europe qui s’est dépouillée de toute indépendance vitale dans une interpénétration des économies qui livrait au reste du monde ses productions essentielles, en lui laissant l’illusion de conserver son ingénierie, ses avancées technologiques et sa puissance financière. Dans le même temps la population du globe doublait en cinquante ans, poursuivant sa folle expansion au rythme de 80 millions d’humains supplémentaires tous les ans, grâce aux bienfaits économiques à tout prix de la mondialisation, et en massacrant ce qui restait de la Nature et de ses possibilités vitales.
En outre, la mondialisation renforçait l’idée posée par la DUDH de 1948 d’une race humaine globale, sans frontières illusoires entre des hommes sans distinction et uniformisables dans toutes les dimensions, en faisant table rase de tous leurs passés et de toutes leurs Histoires. La mixité, le cosmopolitisme, le brassage institutionnalisé devenaient la pensée évidemment dominante et le but suprême à atteindre.
Le grand vainqueur de cette folle mondialisation est sans conteste la Chine, les économies des autres pays dits émergents restant très fragiles et toujours incertaines, portées par des intérêts financiers fluctuants. Mais la Chine, usine du monde, riche aussi de ses devises considérables, infiltrée dans toutes les grandes organisations internationales, avide de revanche sur ses faiblesses passées, forte de son milliard et demi d’habitants, a profité dans de grandes proportions des effets d’une mondialisation dont elle est devenue une pièce majeure et inquiétante pour le futur.
En-dehors de l’indépendance de l’Europe, la grande perdante de la mondialisation est l’Afrique, abandonnée à sa surpopulation galopante, aux mutations climatiques, à sa pauvreté et à son désordre endémiques, mais dont la capacité migratoire est très inquiétante pour l’avenir de l’Europe notamment. L’Afrique n’étant pas un marché suffisamment fructueux de consommateurs potentiels, elle n’intéresse pas la mondialisation. Seul son sous-sol attire des investisseurs avides de nouveaux et faciles profits supplémentaires.
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La remise en cause d’un tel ordre international, qui n’est que l’organisation d’un grand désordre humain au profit de seuls intérêts financiers de quelques-uns, était jusqu’alors interdite par l’idéologie dominante qui se contentait de promettre quelques calages à la marge pour calmer la colère grandissante de peuples inquiets en Occident. Il a fallu l’arrivée d’un virus pour découvrir une partie des dégâts de la mondialisation, avec un étonnement d’une naïveté renversante. Tant qu’un malheur n’est pas effectivement arrivé, les grands esprits progressistes en nient toujours la possibilité, rejetant les dénonciateurs de la mondialisation dans l’obscurantisme. Et lorsque le danger sera passé, on retournera à ses anciennes passions idéologiques, en pire peut-être, sans rien changer de systémique à l’ordre ancien.
Pourtant la mondialisation n’est pas une écrite dans le marbre d’une Vérité divine. Le retour à des économies de proximité, même relative au niveau européen, des « économies de la vie » ; le rétablissement de l’efficience des identités et des valeurs des peuples ; la reconnaissance effective des différences ; la volonté de réintégrer l’Homme dans la Nature, non pour lui-même mais pour sauver d’abord la Nature ; le réveil décisionnaire des peuples jusqu’alors anesthésiés par les discours idéologiques et la surconsommation ; l’arrêt de la déification de l’être humain ; sont autant d’éléments qui permettraient de changer l’ordre des choses censé être acquis pour toujours.
Par ailleurs la maîtrise du monde par deux Blocs n’a jamais pu perdurer (Bloc Est/Ouest ; Bloc USA/Chine). La réponse repose dans un monde multipolaire, plus atomisé, qui diminue les risques conflictuels majeurs et permet une relative autonomie des uns par rapport aux autres. Mais ce monde multipolaire passe par la disparition d’un certain nombre d’Etats – notamment en Europe mais pas seulement - au profit d’entités plus larges et aptes à constituer des pôles homogènes et puissants qui s’équilibrent.
Révolutionnaire ? Utopique ? Irréalisable ? Ou au contraire nécessaire pour éviter de gigantesques cataclysmes ravageurs de toute nature?
Le premier problème qui se pose est celui des élites occidentales – politiques et médiatiques notamment - qui verrouillent tout un système de pensée entraînant une adhésion d’une majorité des peuples, au prix de discours, d’informations et de communication massifs. Cette mise en coupe réglée très sophistiquée empêche de répandre d’autres propositions dont les élites ne veulent pas. C’est cette sorte d’impasse terrible qui a contribué à fabriquer le terrorisme apparu en même temps d’ailleurs que les premiers effets notables de la mondialisation. Terrorisme islamiste certes, au prétexte religieux, mais qui traduit aussi une volonté farouche de conserver une identité forte contre l’aseptisation mondialiste.
Si l’on exclut bien sûr cette méthode, tout changement passe par une véritable et durable rébellion populaire par les voies démocratiques. Il ne semble pas à ce jour que les peuples de l’Europe y soit prêts. C’est le second problème auquel un vrai changement systémique se heurte. Car ce sont bien les peuples qui sont aussi, et même surtout dans nos démocraties, les consommateurs de productions aux profits ravageurs pour les élites financières du monde. Des modifications de comportements de consommation pourraient porter des coups terribles à ceux qui ont organisé la mondialisation. Là encore, il faudrait une révolution des esprits, une vision d’un intérêt général supérieur à l’égoïsme individualiste, une redécouverte d’autres valeurs, pour infléchir un processus d’enfants gâtés par lequel les élites ont asservi les peuples.
Le fait est qu’un nouvel ordre mondial doit passer par le politique qui reprendrait ses droits sur la toute-puissance économico-financière. C’est la question centrale pour qu’un ordre nouveau puisse s’instaurer. La prise de pouvoir des financiers sur le monde est à l’origine de la mise en œuvre de la mondialisation. Seule une forte volonté politique soutenue par les peuples peut inverser la tendance actuelle.
Tous ces points sont incontournables pour tenter de redessiner un nouvel ordre mondial qui reste une chimère sans la chute de ces barrières idéologiques.
Le rétablissement d’une souveraineté européenne sur ses besoins majeurs – économie de la vie- est une première nécessité préalable, même au prix d’un renchérissement de la production, mais au bénéfice des exigences naturelles. Mais la proposition entraîne immédiatement un nouveau problème : celui de la réorganisation du continent européen débarrassé des miasmes de l’Union Européenne, qu’il serait trop long de développer ici. Mais une Europe de près de 500 millions d’habitants doit pouvoir être autonome et autosuffisante. Une quasi autarcie à un tel niveau est parfaitement envisageable dans la variété de l’espace européen prolongé peut-être jusqu’à l’Oural.
De la même manière, l’ordre mondial peut également se remodeler et se recentrer par continents ou sous-continents : l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Afrique. L’Asie pose un problème dans la compétition entre le Japon en déclin et la Chine expansionniste pour un partage de zones autonomes dans la région Asie/Pacifique. Reste la question russe, véritable continent eurasiatique, trait d’union entre l’Europe et l’Asie, qui doit lier son destin à celui d’une Europe nouvelle dans ses échanges comme dans ses impératifs sécuritaires. Il y a ici une communauté de destin entre l’Europe et la Russie.
Cette « infra-mondialisation » régionale est déjà timidement mise en œuvre mais doit s’amplifier largement sur les bases assumées identitaires pour créer des zones aux intérêts et histoire distincts, en redéployant les particularités et les spécificités de chacune de ces grandes zones. La difficulté réside là encore dans la position chinoise qui, elle, repose déjà sur une forte identité à laquelle elle n’a jamais renoncé – et ne renoncera jamais - contrairement aux abandons d’identités de l’Europe honteuse, et seule dans ce cas, de sa culture. Le mastodonte chinois, dans tous ces domaines, a acquis une avance considérable sur le reste du monde développé.
Un monde régionalisé n’exclut pas des échanges économiques, mais favorise une mixité culturelle et des populations, à l’intérieur de chaque zone en limitant un cosmopolitisme effréné et mortifère pour chaque grande communauté. Il y a un enjeu majeur dans la séparation des échanges économiques d’une part, et culturels et identitaires d’autre part.
Les économies actuelles sauront parfaitement s’adapter, comme elles l’ont toujours fait au fil de l’Histoire, à un new deal de la postmodernité du monde. Les firmes multinationales, monstres américains ou chinois devront se recalibrer en fonction d’une nouvelle conception des échanges et de la consommation. Une modification des systèmes monétaire, financier et économique est toujours réalisable lorsque les volontés populaires et politiques l’exigent. Un système n’est jamais unique ni figé, l’Histoire le montre depuis toujours.
Au contraire, les débuts de siècles sont très souvent des passages révolutionnaires de fin de monde ancien: 1314, mort de Philippe le Bel et début d’un siècle de troubles majeurs (grande Peste, guerre de cent ans…) ; 1430, Jeanne d’Arc et libération de la France, début d’une ère nouvelle ; début XVIe : exploitation du Nouveau Monde, révolution économique ; 1715, mort de Louis XIV et changement de monde ; 1815 : fin du règne napoléonien, révolution culturelle et industrielle ; 1918 : fin de la Grande Guerre et du bouillonnement du XIXe siècle, bouleversements mondiaux majeurs, Révolution bolchévique, capitalisme débridé aboutissant à la Crise de 1929. Les vingt premières années de tous les siècles sont toujours marquées de grands bouleversements que personne n’avait jamais prévus ni voulus.
Le nôtre aussi.
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