Thierry Pochez (1956-2024)
Nous venons d'apprendre le décès de Thierry Pochez, militant historique de la cause nationaliste. Dans les années 1970, il militait à Ordre nouveau puis au Front de la Jeunesse (lié au PFN). Il participa activement à tous les combats de cette époque somme-toute pas si lointaine... Depuis des mois, il luttait courageusement contre la maladie, celle-ci l'a emporté hier. Qu'il repose en paix.
Il y a cinq ans, nous avons publié, à l'occasion du cinquantième anniversaire de sa création, le livre Ordre nouveau raconté par ses militants (ce livre, actuellement épuisé, va être réédité prochainement). Thierry avait contribué à sa rédaction en exposant les raisons de son engagement dans l'article ci-dessous.
S N
De la Corée à Beyrouth
THIERRY POCHEZ
Né en 1956. Expérience professionnelle en logistique et évaluation des risques professionnels. Retraité.
Dix mars 1971. J’ai à peine 15 ans, je découvre dans la presse les reportages sur les affrontements du Palais des Sports. Ils m’ont marqué pour le reste de ma vie. J’avais enfin trouvé ma voie. J’étais alors collégien aux Francs-Bourgeois, mon père ancien militaire de carrière ne voulait connaître que les écoles privées catholiques. Sa vision du monde était imprégnée de la pensée de Maurras, antigaulliste depuis 1940 et antimarxiste comme une évidence.
Ma mère, Coréenne d’origine, avait fait sien l’adage « Tu prends un mari, tu prends son pays » ; elle avait pris aussi sa religion en abandonnant le protestantisme presbytérien pour le catholicisme. Sa mère était bouddhiste et son père confucianiste (et polygame. Ce qui m’a aidé à considérer avec intérêt et indulgence le concept de « fidélité partagée »…). Mon grand-père l’avait mise dans une école américaine d’où elle sortit anglophone, presbytérienne, anti-américaine, antijaponaise et anticommuniste.
Mes héros étaient tous des rebelles. Degueldre, Piegts, Dovecar, Denoix de Saint-Marc, le commandant Guillaume, Bastien-Thiry, le lieutenant Kheliff et le capitaine Croguennec, Charette, Cadoudal et même le camisard Jean Cavalier.
Ordre nouveau pratiquait (déjà) le rassemblement national. Ce qui nous unissait était plus fort que ce qui pouvait nous séparer ou nous opposer. L’antimarxisme faisait alors consensus et demeure chez moi un marqueur indélébile. Le bon communiste reste le communiste mort, All Communists Are Bastards. L’antigaullisme était alors d’actualité, le SAC était peu apprécié des militants. J’avoue être devenu (un peu) tolérant avec (certains) jeunes gaullistes.
Le militantisme est souvent peu attractif et consiste en beaucoup de tâches ingrates : plier des journaux, rédiger des adresses, remplir et timbrer des enveloppes. Heureusement, il y a aussi les collages d’affiches, les ventes de journaux à la criée sur les marchés et les distributions de tracts avec, Dieu(x) merci, quelques opportunités de décharges d’adrénaline par l’échange d’arguments persuasifs et fréquemment frappants. Je me souviens en particulier du marché Convention en 1972 ; j’avais 16 ans. À peu près au même âge, mes soeurs aînées collaient pour l’OAS et leur voiture avait été envoyée dans un fossé par les racailles de Boulin et Chaban.
J’ai effectué de nombreuses « visites » dans les lycées, les facultés, les salles de réunions – tout en me perfectionnant dans les arts martiaux, et dans la pratique du baby-foot et du flipper Chez Gina, l’annexe du local de la rue des Lombards. Bien que non étudiant, j’ai activement milité au GUD, dans le hall, le local, la cafétéria et dans leurs diverses annexes (le Bar des Facultés, le Vavin, le Pussy pub).
Lors de la scission du GAJ, j’ai choisi de rester fidèle à mes amis d’abord, à la direction d’Ordre nouveau ensuite. J’ai obéi sans états d’âme aux consignes d’affrontements fratricides ; les regrets ne sont venus que bien après… Je n’aurais éprouvé aucun regret si les mêmes consignes avaient été données contre Jean-Marie Le Pen (mais pas contre ses militants).
Je n’ai vécu la dissolution d’Ordre nouveau que comme une péripétie. On ne dissout pas des idées. On s’est retrouvé avec Faire front à Vincennes – c’était juste un changement de local (et de bistrot, mais j’en ai oublié le nom), puis avec le PFN boulevard de Sébastopol (bar-tabac Le Chat noir).
Mon départ pour le service militaire en octobre 1974 m’a amené à plus de réflexion politique et renforcé dans mes convictions et antipathies.
Direction le 2e régiment d’infanterie de marine, basé au Mans. Les gaîtés du service m’ont totalement échappé. Heureusement qu’il y avait l’entraînement militaire, sinon je comptais les jours. La quille, bordel !
La guerre d’Algérie n’était finie que depuis douze ans ; les gradés, et surtout les officiers, étaient susceptibles d’y avoir servi et de ne pas s’être rebellés. Donc ils étaient coupables de cette absence de révolte. Que m’importait alors leur courage physique face à l’engagement non respecté de défendre la France et les Français. Et puis, la fiction d’un service égalitaire ! Alors que des pistonnés rentraient chez eux tous les soirs, un Basque malchanceux – à qui il fallait vingt-quatre heures pour rentrer chez lui et autant pour en revenir – n’avait droit qu’à une permission de 96 heures par mois.
J’ai connu quelques ennuis après avoir vu mon nom en haut d’une colonne de signataires de l’Appel des 200 du Comité de soutien à l’armée du sergent Dupuy.
J’ai bien sûr refusé de rempiler (une fois pour aller au Gabon, une autre fois en Nouvelle-Calédonie. Pas question de devenir une « rampouille » !)
Enfin la quille est venue. Je me suis détaché du militantisme en observant, avec du recul, l’évolution de certains militants et dirigeants qui pouvaient faire l’objet de controverses.
Avec mon ami Pierre Versini (Bugny) et ensuite mon frère Philippe, nous étions à la recherche d’une guerre. Pour nous connaître nousmême d’abord et, pourquoi pas, pour faire oeuvre utile aussi.
Le Liban correspondait à toutes nos aspirations. Se battre pour les Phalangistes libanais (le nom inspire tout de suite la sympathie), des chrétiens orientaux [1]. Combattre les Palestiniens était cohérent : si leur combat pour récupérer leur terre était légitime, Amman et Beyrouth n’étaient pas sur le chemin pour Jérusalem. Il n’est pas acceptable que des réfugiés cherchent à s’emparer du pouvoir (en Jordanie) ou à accaparer les terres des chrétiens libanais.
J’y suis resté six mois ; j’ai été blessé, puis j’ai fait six mois de rééducation en France.
On nous a proposé à mon frère et à moi de partir au Laos pour combattre avec les maquisards contre les communistes. J’ai dû refuser cette aventure et mon frère n’ayant pas voulu partir sans moi, c’est Thierry Tcheng (lui aussi pouvait prétendre faire couleur locale) qui est parti à notre place.
Quelques mois plus tard, Bob Denard nous a proposé une excursion de quelques heures au Bénin, offre que nous avons déclinée. Mais la proposition suivante – une croisière aux Comores – m’a tenté ; cette fois-ci, je voulais en être. J’ai cru être habile en proposant à ma petite amie le mariage dès mon retour de cette aventure. J’étais naïf : elle a accepté le mariage et s’est opposée à mon départ. Mon frère est parti sans moi ! Partir à trente pour conquérir un pays, même tout petit, mené par deux corsaires, Denard et le Crabe-Tambour, cela eût été exaltant… Mais j’ai eu deux enfants, un garçon et une fille, qui font ma fierté. Charles Péguy aurait écrit : « Le père de famille est l’aventurier des temps modernes ».
Beaucoup ont choisi de se battre à l’étranger (Karens, Cambodge, Croatie), d’autres sont restés en France pour mener le combat, mais c’est toujours la même guerre, la même adrénaline, le même dévouement.
J’ai continué à militer autrement, en faisant embaucher là où je le pouvais des militants et des réfugiés (vietnamiens et cambodgiens).
J’ai gardé mes idées de jeunesse. Je m’honore d’avoir gardé l’amitié des premiers militants que j’ai connus en 1971-1972. François Lefèvre, Guillaume d’Aram, Michel Vial, Christian Marelle et d’autres trop nombreux pour tous les citer et bien sur l’amitié précieuse d’authentiques militantes, Véronique Péan, Marie-Thérèse Philippe [2]… J’aime me souvenir de mes amis partis en éclaireurs, Pierre Versini (Bugny), Thierry Tcheng, Yves Van Ghele. Je suis confiant, je les retrouverai où qu’ils soient, au paradis ou au Valhalla.
Je suis resté un faf. J’ai la nostalgie de l’adrénaline.
[1] Après Vatican II, notre père nous avait fait découvrir la liturgie de saint Jean Chrysostome pratiquée dans les églises catholiques d’Orient, chez les orthodoxes une partie de l’année et chez les coptes depuis le Ve siècle (Proche-Orient et uniates d’Ukraine).
[2] Belles, courageuses, volontaires, intelligentes, marrantes, charmantes, pimpantes, fringantes, modestes et fières de l’être...